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13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 01:18

L’article précédent nous offrait le poème de Charles Baurin, intitulé « Dans mon panier » et je ne l’y aurais pas installé, si je n’y avais senti la saveur d’une belle qualité d’âme, en même temps qu’une pensée littéraire de valeur.

Bien des approches sont possible ici. C’est d’ailleurs une des caractéristiques des bons textes. Je vais immédiatement oser une comparaison, sans ignorer que les auteurs n’apprécient que modestement ce tour d’esprit. Mais dans ce cas, j’espére ne pas recevoir en retour une volée de bois. Croyez-le ou non, ce poète qui va au village, panier plein et démarche allègre, m’a évoqué Perrette, guillerette et ses espoirs fracassés. Je ne m’avancerai pas davantage sur ce terrain comparatif, ses allusions et ses limites. 

Sauf que dans ce cas, s’ébauche une transmutation digne de la pierre philosophale. Ces mots mis en panier, ces mots qui, on le comprendra sans peine, parlaient de maux, ont subi l’épreuve de l’osier, puis celle de l’eau claire. En quelque sorte, ils ont été recueillis, choisis, rangés, transportés, filtrés, épurés, donnés à l’onde vitale, et ce don a porté fruit en l’âme du poète, en même temps qu’il abreuve peut-être quelque inconnu, en un ailleurs que nous ne connaîtrons jamais.

Et le cycle recommencera, à l’aune d’une nouvelle vie, d’un nouveau regard, ou bien d’un éternel retour.

Si j’ai souhaité positionner ainsi mon approche de ce texte, c’est, qu’au-delà d’un don de poésie, nous pouvons le comprendre comme la leçon de littérature d’un grammairien poète, ou, si l’on préfère, d’un poète grammairien. En, effet, la littérature n’est pas le nombrilisme de pacotille d’une vague mélancolie, le ruminement obligé des idées reçues, le bêlement pseudo-intellectuel d’une scie à la mode. Tout cela appartient au domaine du cerveau reptilien, de l’émotif mal contrôlé, ou de l’utilitaire immédiat. Mieux vaut encore la sécheresse vitale d’un rapport de police, ou certains dialogues porteurs d’une force vitale qui les transcendent. Mais il n’étonnera personne que je pousse mes préférences jusqu’aux possibilités du néo-cortex humain : l’usage adéquat des mots porteurs de pensée, d’une grammaire de communication réelle, d’une syntaxe qui épouse le vif-argent de notre esprit. Les grandes langues civilisationnelles portent en elles tous ces outils.  Il faut en accepter les contraintes, les porter aux dimensions d’une activité réelle, pour en exercer dons reçus et talents travaillés.

Alors, mais alors seulement, peuvent émerger à leur pleine valeur, les émotions, les sentiments, l'esthétique, les histoires, nos vies, ce qu’elles apportent, et ce qu’elles emportent. 

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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 16:26

En ces temps d'à peu près, et de perte du sens, il est bon, et il peut même être beau qu'une grammaire sérieuse apparaisse. J'ai emprunté le titre de mon article à Charles Baurin qui a tenu à éditer un ouvrage pratique, et pratique, il l'est déjà par son format qui tient dans ma poche, non seulement en surface (11,5x18 cm) mais également en épaisseur: 0.7 cm. Pratique également l'index en premières pages qui renvoie aux articles correspondants.



Quant à l'esprit, vous y trouverez, comme l'écrit l'auteur: "... un manuel unique de références grammaticales, dont le contenu tente d'offrir le minimum requis en énumérant les points importants de la grammaire pour un apprentissage sérieux de la langue dans un contexte normal, pratique, fonctionnel, tant à l'oral qu'à l'écrit."



Avec cette approche, il est bien évident que l'auteur renvoie à d'autres ouvrages fondamentaux pour les spécialistes de niveaux supérieurs. Mais déjà peut-on affirmer qu'il s'écarte ainsi de certaines pistes délirantes qui ont mené à une casse organisée de l'instruction publique. Gageons que certaines dents grinceront. Nous leurs conseillerons le dentiste approprié.



Mais mieux encore, le Charles Baurin grammairien n'est pas "un personnage incommode, un maniaque qui passe ses journées à pourchasser les fautes de français, une sorte de gendarme du langage qui règle la circulation des mots en créant à plaisir les sens interdits et les carrefours dangereux."



Il est aussi un esprit libre: il suffit de bien comprendre la phrase précédente pour s'en rendre compte. Et il est aussi un poète et un peintre. Regardez la photographie initiale, une de ses œuvres intitulée "la Naissance du mot", et adressez votre courrier:
éditions PO&VIE Publishing (tout un programme).

www.poetvie.com

poetvie@gmail.com



J'ajoute, s'il en était besoin, qu'il est un homme délicieux, qui ne m'en voudra pas de lui poser quelques questions pour mon édification personnelle, et sur lesquelles, nous aurons, j'en suis certain, grand plaisir à débattre.



Alors, qui n'a plus toute la grammaire en tête, devrait avoir celle-ci en poche. Pour moi, c'est fait.





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1 octobre 2009 4 01 /10 /octobre /2009 18:55

L’édition en France est un marché qui est dit bien se porter. Mais que cache cet optimisme de façade ? (Les lignes qui suivent ne prendront pas en compte des genres panachés qui ont leur valeur, par exemple la BD).

Les livres de cuisine occupent le dessus du panier, particulièrement à Noël. Bernard Pivot à Apostrophes éleva une pile de ces livres jusqu’à le cacher complètement : l’allusion était transparente pour qui voulait bien la saisir.

Les livres scientifiques et universitaires s’adressent à un public restreint et à des maisons spécialisées.

Leurs retombées de vulgarisation, quelle que soit la discipline, peuvent atteindre le grand public, en fonction d’une mode ou de la renommée d’une personnalité. Dans ce domaine le meilleur cousine avec le pire, la « Brève histoire du temps » avec la floraison des régimes amaigrissants. Chacun trouvera d’autres exemples si nécessaire.

Les biographies ou autobiographies politiques, historiques, de voyages ou de circonstances exceptionnelles, les essais, trouvent un public variable, souvent stimulé par l’actualité. Leur genre les rapprocherait des retombées de vulgarisation citées précédemment.

Un cas particulier en est le témoignage des vies humbles, de la grand’mère à ses petits enfants, domaine de l’auto-édition ou de l’édition à compte d’auteur, bien souvent mise au placard comme radotage trop entendu.


Reste donc, le cas de la littérature plus classique, que l’on pourrait dire d’imagination, quel que soit son domaine d’exploration :

La poésie sort exceptionnellement de son cercle restreint de disparition. Les nouvelles ne trouvent que peu d’acquéreurs. Le roman (quelle que soit la définition que l’on donne à ce genre) en est l’axe majeur et la forme la plus répandue.

Cela est tellement vrai qu’il est porté par les grands prix littéraires qui font vendre. Le verbe faire est utilisé ici dans son sens fondamental et explique la raison d’être de ces prix. Il y a belle lurette que ces récompenses ont trahi le sens propre et les bonnes intentions de leurs fondateurs. Depuis le temps que les frères Goncourt se retournent dans leur tombe, personne ne parierait plus sur pile, ou face. Paradoxalement, si l’éclosion de ces prix s’accompagne d’une éclosion non moindre des révélations de leurs marchandages internes dans le giron du « groupe Galligras et compagnie», le public n’y voit qu’une distraction semblable à celle du rapport de la cour des comptes ; une fois la première vague de plaisanterie passée, il se détourne du fond et flotte sur l’écume, il en en redemande, il marche. Il y a donc encore de beaux jours pour ces vénérables institutions. Tant mieux pour ces institutionnels du profit, et parfois tant pis pour la littérature. Mais toujours, dommage pour des ouvrages noyés par ces déferlantes.


Il faudra y revenir. Il faudra même en revenir.

 

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27 septembre 2009 7 27 /09 /septembre /2009 18:01



Je viens de tester un correcteur de textes numériques. Sa première qualité est d'exister, la deuxième de permettre un téléchargement de démonstration valable 30 jours, sans limitation de fonction. Il faut toujours privilégier les opérateurs qui autorisent cet usage. Dans son module de correction d'un texte déjà écrit, il intervient sur l'orthographe, la grammaire et la typographie. Il s'intègre facilement dans les grands traitements de texte. Sa présentation est pratique. Bref, il impressionne favorablement dès la mise en place.



Je passerai rapidement sur la correction typographique qui me paraît satisfaisante: les espaces sécables fautives sont repérées sans erreur, la ponctuation défaillante aussi, me semble-t-il. À s'en tenir à ce point, on ne peut qu'être tenté de transformer l'essai. Mais la suite oblige à d'autres remarques.



Que les noms propres ou les termes étrangers ne soient pas connus n'est que broutille, aisément améliorée par la fonction d'apprentissage. Chacun peut ainsi élaborer son propre dictionnaire. Un pas de plus est franchi lorsque des mots sont signalés comme rares. À mon sens, cela est regrettable, d'abord parce que ces signalements, me paraissent exagérés, mais surtout parce qu'ils débouchent sur une possibilité d'autocensure, si l'auteur cédait à la tentation de niveler son texte par le bas.


Mais où le bat blesse, et mortellement, c'est dans sa fonction de correcteur grammatical. Là, il signale des erreurs qui n'en sont pas. Partant de prémisses justes (la règle de grammaire) il l'applique de façon parfaitement erronée au texte proposé. Parfois il propose, qualifiant de "suspectes" des formes parfaitement correctes; mais plus souvent il impose sa correction fautive. Défilent ainsi en catastrophe les accords d'adjectifs par rapport au nom qualifié, les accords sujet-verbe, les participes passés mal accordés.



Il s'agit là d'erreurs telles qu'aucun professeur de sixième de mon époque ne les aurait pardonnées. Il est donc hors de question de les laisser passer aujourd'hui, quel qu'en soit le prétexte.



À ce niveau de mon parcours quelques réflexions s'imposent:

- Les textes que j'ai soumis à ce correcteur étaient de grands classiques :

Les Mythes sur l'origine du feu de James George Frazer

La Crise de la conscience européenne de Paul Hazard.



- Malgré la correction d'erreurs évidentes (fait positif qui ne doit pas être omis) je ne peux que déconseiller ce correcteur grammatical. Je n'ose même pas imaginer que sa version professionnelle, que je ne peux tester, soit dépourvue de ces scories inadmissibles.



- Bien entendu, ce que j'affirme est dénué de tout jugement préconçu et peut être aisément prouvé. En voici deux exemples: (j'en tiendrai d'autres, et en grand nombre, à la disposition de qui me les demanderait)





 

 



Mais passons sur la déception pour aboutir à d'autres rivages. Finalement, il est peut-être réconfortant que les finesses, les inflexions, les allures de la langue française échappent à un correcteur grammatical, si nourri soit-il de prouesses numériques et de bonne volonté de ses auteurs. On pourrait même argumenter qu'un texte qui, en l'état, ne provoquerait aucune remarque de cet outil, ne serait que pauvre, sec, au mieux robotique, au pire, squelettique, définitivement mort. Je n'ose imaginer que l'on puisse en arriver à cet état. Je n'ose imaginer que l'on puisse écrire en suivant les consignes de la fonction de correction automatique. Je n'ose imaginer que l'on se contente d'une écriture au mètre. Je n'ose imaginer que l'on étouffe la richesse de composition des auteurs français pour en venir à cette décomposition morbide. Il faut souhaiter que l'enseignement du français et du Français empêche cette triste destinée.

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4 septembre 2009 5 04 /09 /septembre /2009 17:57

"À force d'aller où il faut, de faire ce qu'il faut, de voir ce qu'il faut, vous émoussez, vous usez l'instrument avec lequel vous écrivez. Mais je préfèrerais l'avoir tordu, terni, quitte à devoir le repasser à la meule, le marteler, et l'aiguiser à la pierre, sachant que j'ai quelque chose à écrire, que de le garder brillant et luisant, sans rien à dire, ou doux et bien huilé dans une armoire, mais inutilisé".

Ernest Hemingway 1938 dans la préface aux First forty-nine.

(Traduction Pierre-François Ghisoni)

Cet extrait de préface nous ramène aux difficultés de l'écriture. Les mots utilisés par Hemingway évoquent une plume de stylo, mais ne nous y trompons pas, il restent d'actualité pour tout autre instrument, clavier électronique compris. Ces quelques lignes sont pleines de mots simples qui enrichissent les idées. J'emploie l'adjectif "plein" dans son sens le plus animal, le plus poulinier qui soit, comme j'imagine les pensées galoper, après que le rude travail du débourrage, du ferrage, ait été accompli.

J'aime à relever en ma mémoire les correspondances professionnelles entre les outils du texte précédent, et celui, classique, du grand Boileau qui nous incite à remettre l'ouvrage sur le métier cent et mille fois... "polissez-le et le repolissez". Il y a là quelque chose de la classique relation entre l'artisan et l'artiste. Mais il me semble que notre auteur américain, y ajoute une nuance supplémentaire, une sorte de devoir d'infinitude, où peuvent percer des nuances plus subtiles, plus personnelles, comme une certaine anxiété corrigée par l'action, ou d'autres, plus sociales. J'aime à penser que la possession d'un outil ne se réalise pleinement que par son usage adéquat. J'aime à penser que les grands voiliers appartiennent plus aux équipages loués qui les mènent, qu'aux richissimes argentiers satisfaits d'avoir signé le chèque et d'y passer trois jours de soleil, d'alcool et de faux-semblant.

Pour en revenir plus spécifiquement à cette nuance d'angoisse, il est assez habituel d'en référer à celle dite "de la page blanche" qui est passée dans le langage courant. Je la trouve bien incomplète. Il est temps, porté par Hémingway, d'y ajouter quelques commentaires. Je crois que cette image n'est qu'un attrape non-écrivain. Comme si le véritable écrivain n'avait pas assez de mots et d'idées pour emplir toute page! Comme s'il n'avait pas l'écriture en lui, n'attendant que la présence du papier, pour certains presqu'inutile. Mais son regard est ailleurs, sa pensée plus lointaine, sa critique déjà prête, lovée en lui, plus féroce qu'aucune autre. Je préfèrerais, changeant d'image, évoquer l'angoisse de la page bleue, comme cette perte des repères qui saisit le plongeur sous-marin aux premiers mètres d'une descente, jusqu'à le mener au vertige et à la remontée anxieuse. Je préfèrerais l'angoisse de la page boueuse, brouillonnée, l'angoisse de la corbeille à papier débordante de pages froissées, je préférerais l'angoisse de la page "juronnée", maudite, douloureuse, parce que boueuse, pâteuse, profondément manquée, décevante. Et pire encore, je préférerais, en le redoutant, que l'on parlât d'angoisse de la page rouge, marquée d'un coup de fusil fatal.

La dernière propriété d'Hemingway s'appelait la finca vigía, la vigie. Quels regards portait-il sur le monde que son œuvre avait dépeint? Quel regard porta-t-il sur son œuvre que le monde avait enfanté, en cette année 1961

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28 août 2009 5 28 /08 /août /2009 17:14
C'est la dernière responsabilité qui nous incombe: éviter que nos enfants aient un jour les dents gâtées par les raisins verts de l'oubli. Écrire et raconter, inlassablement, non pour juger mais pour expliquer. Ouvrir la porte à ceux qui cherchent une trace du passé et qui refusent le silence, repiquer chaque matin le riz de nos souvenirs.



J'emprunte cette citation à Hélie de Saint-Marc, dans les Sentinelles du soir aux éditions Arènes (1999). Indépendamment de sa morale profonde, je reviendrai un jour sur le sens de la beauté chez les guerriers, quitte à faire grincer d'autres dents que celles des enfants.



Mais aujourd'hui, je veux amener une autre réflexion: Internet modifie notre approche du monde de l'écrit. Son apparente facilité d'usage est un artifice qui ne doit en aucun cas induire une fausse facilité de l'écrit. Cela est la part de l'auteur. Mais Internet majore bien plus la part du lecteur. Celui-ci, non encore dégagé des habitudes distantes du papier, n'a pas pris toute la mesure de son devoir et de son pouvoir de réponse. Il hésite à saisir les outils qui lui sont fournis, spécifiquement sur un blog comme celui-ci:



- envoyer un commentaire à tout article

- s'abonner pour recevoir un avis à chaque parution



Les enfants dont parle Hélie de Saint-Marc dépassent le cadre de notre petite famille. Ces enfants symboliques sont tous ceux qui posent à haute voix les grandes questions du monde: "pourquoi? Pour quoi?" et qui, découvrant un texte, veulent y ajouter leur grain de sel.



Un brin de vanité d'auteur parcourt cet article, à moins que ce ne soit une petite bouteille à la mer...



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27 août 2009 4 27 /08 /août /2009 23:03
On dit qu'Homère était aveugle. Les latinistes auront reconnu une belle règle de grammaire, et les non-latinistes pourront en faire un tout autre beurre. Oui, Homère était peut-être aveugle, non-voyant corrigeront les aveuglés du bon sens. Remarquons au passage la difficulté ajoutée par ce para-langage pour qualifier une voyante non-voyante, qui se verrait (sic) ainsi disqualifiée. Mais revenons à nos moutons. Homère, à supposer qu'il ait existé en une seule personne et non comme un collectif d'écriture, a pu perdre la vue. Cela influence-t-il notre lecture de l'Iliade et de l'Odyssée? Certainement pas, car le texte l'emporte toujours sur la biographie de l'auteur, qui, lui, s'éloigne, puis se perd dans le temps et dans l'espace. Cette règle devrait reprendre ses droits, si bafouée soit-elle en notre époque d'imagerie débordante, d'immédiateté immédiatement oubliée et de "pipolisation" à outrance, plus simplement, de commérages et de voyeurisme malsains.



Cependant, les ponts sont-ils obligatoirement coupés entre l'auteur et son œuvre?



Remarquons d'emblée l'intérêt neuro-physiologique certain de poser la question du rendu de l'image par une personne privée de la vue, ou plus largement de la transmission d'un message sensoriel par une personne privée de ce même sens. La surdité de Beethoven nous fournit une autre matière à discussion. J'y reviendrai ailleurs.

Mais la vie d'un auteur influence-t-elle à ce point son œuvre que la lecture de celle-ci ne puisse être découplée de la connaissance de sa biographie? Si tel était le cas, nous aurions résolu la grande question de la création littéraire, voire artistique, et bien appauvri le débat. En pratique, nous pouvons mettre en relation chronologique des éléments de vie d'une personne avec des histoires racontées par elle, mais nous ignorons totalement par quels mécanismes intimes se produit cette élection de la vie à l'écrit, cette résurgence de l'urgence d'écrire, et du comment l'écrire. Le chemin est bien incertain entre l'œuvre d'une vie et la vie d'une œuvre. Ici, deux grandes écoles s'affrontent, la française et l'anglo-saxonne. La grande difficulté est qu'elles ont toutes les deux raison, donc qu'elles ont toutes deux tort, ce qui enflamme souvent les pires des discussions, et jette sur certains auteurs des brandons immérités, ou des palmes discutables, lorsque que, par un revers de pensée, on leur fait endosser le costume de leurs personnages.



On a pu dire que chaque auteur écrit toujours le même livre. Pourquoi pas? Les grands artistes savent retravailler un thème, le développer, l'enrichir, sans lasser. Alors, on comprend mieux certaines de leurs préoccupations, sans toutefois faire le tour de leur personnalité. Car, à bien y réfléchir, il s'agit profondément d'un regard renouvelé sur la grande quête que l'esprit humain mène depuis des millénaires, sans réponse définitive. Nous n'avons pas fini d'interroger la rose d'un sonnet de Ronsard à l'aune de notre propre vie. Nous n'avons pas fini de sonder le "silence effrayant des espaces infinis". Seule change la forme de notre approche dans cet éternel retour. Le lecteur est partie prenante dans ce débat incessant. Ses choix de lecture répondent à la boussole interne de son être. Et pour commenter le préalable de ce paragraphe, je pose que chaque lecteur lit toujours le même livre, espérant une réponse à quelque interrogation fondamentale. Rien n'empêche de penser que la personnalité de l'auteur est éclatée entre ses différents personnages dans des proportions imprécises, offrant des réponses partielles aux questions fondamentales de l'être humain. Pour peu que nous accordions foi à l'hypothèse de notre titre, et à l'idée d'un lien direct entre vie et texte, nous ne saurions toujours pas à quel moment de l'histoire de sa cécité Homère aurait chanté son œuvre, et dans quel sens celle-là l'aurait influencée. L'aurait-il su lui-même?



Reste l'œuvre offerte aux souffles du temps et aux lecteurs à venir. Reste une vie lovée dans l'histoire, dans le choix des mots, dans les personnages inventés ou sublimés, car Don Quichotte et les quarante-sept rônins se rejoignent au firmament de l'honneur malheureux et du rêve évanoui.



On sait que Cervantes était manchot...

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21 août 2009 5 21 /08 /août /2009 15:07
L’homme ayant voulu laisser une trace à ses successeurs, histoire et écriture se confondent, aux dires des savants. Mais faut-il que leurs bavures se répondent ? Nous laisserons aller le cours de l’histoire à son terme indécis, mais nous préférons mener notre écriture au bonheur. Celui-ci s’appelle littérature, et s’applique à toutes les formes, de la poésie la plus subtile aux essais les plus profonds.

L’écriture, la littérature… en ces temps de SMS, de « textos » d’orthographe défaillante, de paroles bafouillantes, de média-parleurs, d’imprécision linguistique… qu’en reste-t-il vraiment ? Mais sans nous appesantir en regrets stériles, nous préférons prendre la route, notre route, munis de quelques réflexions.

 

L’écriture n’est pas de la parole prise en sténographie ou enregistrée.

 

Si la lecture d’un grand auteur laisse cette impression, on s’est laissé prendre au piège de la facilité apparente, derrière un gros travail de mise en forme. Quelle énorme erreur de croire que Céline ou Frédéric Dard transcrivaient leur langage naturel ! Quant à l’apparence lisse des manuscrits de Marguerite Yourcenar, Simenon, Giono, ou d’autres grands (Jean de la Fontaine), elle masque aussi une intense préparation animée pour certains par une mémoire prodigieuse qui leur permettait d’ « écrire dans leur tête » avant de coucher sur papier cette pré-écriture.

 

Cependant, un texte de bonne qualité sonne bien.

 

Nous avons perdu l’habitude de lire à haute voix. C’est l’auteur, premier interprète de son texte, qui peut en éprouver la qualité sonore. Cela s’apprend ou se réapprend, et, comme disent les acteurs, se met en bouche. Il serait bien étonnant que dans notre pays de gastronomie, nos auteurs n’y parvinssent point. Mention spéciale doit être faite au sujet de la poésie, qui doit être servie par des interprêtes de talent, ayant largement dépassé le stade de l'emphatique attendu ou le ton pénétré de circonstance. Combien de belles poésies sacrifiées sur l'autel de l'enflure vocale, et souvent par leur auteur.

 

 

La littérature crée des images, parfois à son corps défendant

 

On illustre un texte en y insérant une photo, une image choisie. La bande dessinée serait l’extrême de cette pratique, ou son inverse. L’écrivain use d’autres moyens. Un des plus simples est la comparaison. Mais ici pullulent les images toutes faites (Le visage de la grand'mère, ridé comme une vieille pomme) qui affadissent plus qu’elles ne donnent à voir. Et même si la comparaison prend des formes nouvelles, séduisantes de prime abord, leur exagération alourdit l’histoire. La poésie, la chanson et le roman utilisent des moyens communs affinés par la forme dans laquelle l’histoire se moule. Un des formidables défis auquel est confrontée la littérature est l’envahissement de notre monde par une infinité d’images créées et déformées par des moyens informatiques mis à la portée du premier collégien venu, et consommées sous toutes le formes possibles, en histoires, en publicité ou ailleurs. C’est par une forme d’intelligence plus subtile que la littérature séduira l’imagination du lecteur.

 

Les expressions à la mode sont les bouche-trous de la pensée

 

Il est navrant de constater deux phénomènes en apparence contradictoires. Le premier est la réduction du vocabulaire qui bannit les mots de quatre syllabes, surtout s’ils sont spécifiques. Ils seront alors qualifiés de « jargon » par les cuistres. Le second est l’invasion des locutions omnibus, arrêtant chaque phrase, prétendant fleurir le discours, et n’apportant aucun élément nécessaire. Ainsi les « cerise sur le gâteau », « que du bonheur », « y’a pas photo » et autres « au quotidien » qui ne « sont pas notre tasse de thé ». Occuper l’antenne, remplir les blancs, tirer à la ligne, ne sont et ne seront jamais que de pauvres procédés pour aboutir à d’autres résultats qu’une page bien écrite.

 

 Dans toute langue existent le grand style et tous les niveaux intermédiaires jusqu’au pire trivial.

 

Maîtriser une langue nécessiterait de faire des incursions dans tous les recoins de ses étages, et d’adapter le terme le plus précis à la fonction souhaitée dans la situation donnée. La tâche est redoutablement ardue, quasi-impossible.

Le mélange des genres est très difficile à manier et théoriquement non souhaitable. Ainsi, n’imaginerait-on pas un Président de la République s’adresser à un quidam : « Casse-toi pauvre c… ». Un écrivain est mieux loti. Il pourrait mettre cette réplique en situation dans une œuvre, et pire encore, sans enfreindre la règle de vraisemblance. Remplacerait-il cette réplique par un sonnet sans défaut, qu’il n’aboutirait qu’à un effet comique ou déplacé.

Une belle œuvre littéraire est grosse de nombreux courants qui se conjuguent et s’harmonisent (au mieux) ou emportent le lecteur vers d’autres tourbillons. C’est pourquoi il faudrait savoir accepter une contribution, si hétérogène fût-elle, dès qu’elle nous porterait vers la grandeur ou la beauté, et mieux encore, vers les deux.

 

Alors, où sont les limites ?

 

Elles sont, comme souvent, sujettes à dicussion. Elles nécessitent une approche mêlant des qualités d’apparences contradictoires, l’audace tempérée par la prudence, le vivacité acceptant le calme, ou l’inverse, et tant d’autres critères. Mais c’est ainsi que la littérature touche le monde des arts (peintres, musiciens par exemple)  ou même celui du sport (la limite, disait un alpiniste, c’est déjà trop tard, on dévisse).

 

C’est pourquoi, affirmant hautement mon droit à choisir et à rejeter,  je n’aime pas que toutes les portes soient fermées, et encore moins par la censure institutionnelle. C’est pourquoi j'accueille les textes porteurs d’esthétique, de sincérité et de force. C’est pourquoi j'accueille des formes diverses. Je souhaite que le grand classique voisine avec Oulipo, que la poésie n’ostracise pas le policier, que le roman le plus ambitieux n’étouffe pas l’aphorisme ciselé. Je regrette la légalisation du délit d’opinion, car une littérature bien faite participe de la libre disputatio, et ouvre les meilleures portes sur l’avenir.

Amis auteurs, à vos plumes, à vos crayons, à vos claviers, à vos rêves, à vos textes !   

 

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14 août 2009 5 14 /08 /août /2009 16:52

Dans l'article précédent, intitulé de la même expression, le sens avait été volontairement restreint à ses implications financières. Il s'agit ici d'en considérer d'autres, en distinguant clairement que "vivre de sa plume" peut dépasser la trop simple idée de gagner sa vie, pour arriver à celle plus humaniste de la faire. Ce verbe prend ici tout son sens, en poussant l'humain vers ses multiples dépassements, et, espérons-le, vers son accomplissement. À partir de cette acception, il devient indispensable de laisser une place à la chose écrite et portée au lecteur, pour ceux qui en ressentent l'intime nécessité. Cette profonde obligation s'impose alors indépendamment du volume de l'œuvre. Dans cette optique, Balzac joue à jeu égal avec une grand'mère de mes relations qui a tenu à laisser son témoignage à ses descendants. Dans le remarquable livre éponyme de Kazantzaki, le vieillard qui lance ses dernières forces dans la bataille de l'apprentissage, pour écrire simplement (?) "la liberté ou la mort", atteint au sens profond de l'écriture. Les remarques précédentes sur la quantité ne nous dispensent pas de la qualité, autre débat sur lequel nous reviendrons.



Il s'ensuit qu'une place doit être réservée à toute œuvre qui est nécessaire pour que l'auteur en vive, au sens complet du terme. Cette place ne devrait être exclue d'aucun des rouages du circuit de la lecture qui tient tout autant de l'édition et de la diffusion que de la disponibilité intellectuelle du lecteur, qui lui aussi peut vivre ou revivre de cette œuvre.



Or nous constatons quotidiennement que cela n'est pas le cas, et que la situation empire. Elle empire chaque fois qu'un auteur (quelle que soit sa valeur) fait le jeu télévisuel d'un présentateur à paillettes. Elle empire chaque fois que des contrats étonnants portant sur des sommes mirobolantes sont conclus au prix d'acrobaties médiatiques et financières qu'il faudra bien compenser en inondant le marché par l'œuvre en vogue. Elle empire chaque fois que le pilon écrase les invendus que d'ailleurs on ne souhaitait peut-être pas vendre. Elle empire lorsque, au mépris du contrat et de la loi, une réimpression n'est pas accomplie malgré la demande des lecteurs. Elle empire lorsque le "politiquement correct" insinue ses tentacules dans la liberté de l'écrit.



Il faut donc redonner à l'écrit la place qui lui est nécessaire et qui l'est tout autant pour notre survie morale. Il est prévu de s'en occuper. Il est prévu que nous nous en occupions.



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5 août 2009 3 05 /08 /août /2009 15:49
Quel féru de littérature ne souhaiterait vivre de sa plume? La réalité prouve que les oiseaux y réussissent mieux que les bipèdes les plus doués, et point seulement à cause de leur langue, chère aux poètes, mais aussi par la qualité et la quantité de l'espace qui leur est laissé. Oublions les airs, revenons sur terre, et plus souvent aux claviers qu'aux plumes.



L'auteur suffisamment heureux de placer son écrit en EPCE (édition papier à compte d'éditeur) sera récompensé de ses efforts à hauteur de 8% du PVP (prix de vente public), 10% s'il est déjà reconnu, et bien peu plus en cas de grande renommée. Dans le cas moyen, les mathématiques élémentaires nous ramènent donc à 3 euros pour un livre vendu 30 au public. 400 exemplaires vendus chaque mois équivaudraient environ au SMIC, mais 400 exemplaires sur 12 mois (tirage d'environ 5000) feraient déjà un bon gros succès en France!

Restera encore à négocier un à-valoir (avance sur les ventes) ou à se faire délivrer en temps et en heure le compte des droits d'auteur. Si cela était toujours facile...! Bien sûr, cette difficulté nutritive nous a valu quelques lettres supplémentaires de Céline à son éditeur, mais sans rien modifier à leurs  apothéoses littéraires respectives...





Cette réalité déplaisante est contrebalancée  par une autre qui ne l'est pas moins: l'inondation par les gros tirages. Des prix renommés, des campagnes publicitaires soigneusement orchestrées, des modes portées par des déferlantes propulsent des œuvres d'intérêt inégal et des auteurs télégéniquement présentables. Reste aux inconnus, le rêve ou le mirage. Reste aux bons comptables et aux boîtes de pub à recommencer l'opération. Reste que... le marché littéraire de l'EPCE est complètement faussé et que nombre d'auteurs de belle valeur y restent sur le carreau.



Alors? Des solutions pourraient-elles modifier quelque peu l'allure de cette machine emballée?



Nous le croyons fermement. Donc nous y reviendrons.

Nous?... Oui, nous, plus nombreux qu'on ne le croit.



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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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