Un article récent du Figaro met l'accent sur l'incitation à l'écriture proposée par des psychothérapeutes à leurs patients. Il s'agit d'une écriture dirigée, commentée, retravaillée avec l'aide du spécialiste consulté. Quelques exemples viennent à l'appui de cette hypothèse. Une question subsidiaire s'y rajoute, posant cette pratique en opposition possible aux entretiens de même tendance sur meubles divers.
Cette proposition de soin par l'écrit ne surprendra que les personnes qui n'ont jamais évoqué le rôle profond de l'écriture dans la relation à soi et aux autres. Je voudrais évoquer d'abord deux grands champs d'écrits relationnels.
Le premier est celui de la carte postale, pensum de vacances profondément ridicule dans sa forme (il fait beau... profitez au bureau... la croix sur ma fenêtre... etc.) multiplié par le nombre d'envois obligatoires, pour soigner la relation aux autres, qui sans cela... J'utilise le mot soin dans un sens qui paraît non médical, mais qui touche en réalité au domaine médicalisable de la relation aux autres, faite de prescriptions socio-amicales, et de tabous variables à imprécis.
Passons à un second champ d'écriture, celui du testament. Il s'agit profondément de mettre de l'ordre, de laisser une trace, d'organiser (autant que possible) l'avenir. En quelques sorte de soigner le cortège symptomatique de la mort prévisible, dont, au premier rang, l'angoisse. Ici encore l'écriture est un soin de soi et des autres, prolongé par l'épitaphe, cette carte postale gravée sur pierre par les récipiendaires de l'écrit sus-dit.
Entre ces deux champs (nous aurions pu choisir d'autres exemples) s'intercale un monde fluctuant aux modes divers. Nous les avons classés en sept lieux sur LETTROPOLIS, bien conscients que d'autres choix eussent été possibles. Et si nous avons créé le Bois des Essais, c'est bien pour ouvrir la porte aux textes qui échappent au cadre classique de la littérature. (Mais où sont les limites de ce cadre?).
Il faut bien en revenir au journal intime, pieux cadeau de la maman à sa fifille, qui jure — croix de bois, croix de fer — qu'elle n'ira jamais le chercher sous l'oreiller où il est caché, et qu'elle ne le lira jamais... sauf, bien sûr si...
C'est un peu ce que proposent ces psychothérapeutes, et je ne peux que souscrire à cette approche, qu'elle soit positionnée dans ce cadre, ou spontanée.
Car l'écriture est une trace de soi-même nécessitant une mise en ordre pour témoigner devant un tribunal qui est avant tout le nôtre. Il est bien évident que dans ce tribunal, malgré la formule consacrée à la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, des accommodements sont possibles -- et même nécessaires -- avec l'infinie complexité des éléments, pour aboutir à une mise en forme relationnelle. Elle oblige à des choix, des modes de présentation, en même temps qu'à une réflexion profonde sur nous-mêmes et sur les enjeux en cours, à court, moyen et long terme.
Bien plus que la lecture, l'écriture est une action qui nous engage. Même l'écriture "automatique" des surréalistes participe de cet engagement. Et il n'est pas anodin, qu'au cours d'une longue carrière médicale où j'ai proposé à tant de personnes d'écrire leurs difficultés, bien peu l'aient fait. Mais celles qui s'y étaient attelées (j'emploie le féminin en relation avec le mot "personnes" mais aussi parce que c'étaient des femmes) m'en ont témoigné leur satisfaction. Elles avaient l'impression d'exister, ce qui est déjà un grand pas vers l'affirmation de soi.
Il m'arrive souvent de comparer l'écriture à l'aviation. Combien de personnes déclarant vouloir voler, trouvent mille occupations à faire quand on les invite à un vol gratuit! L'écriture est une activité menaçante, car des risques sont pris, non seulement ceux d'être confronté à un manque de pratique, mais aussi ceux du jugement des autres, et pire encore, ceux de dévoiler des pans de personnalité qu'on préfèrerait masquer. Écrire, c'est naviguer entre des écueils nouveaux que l'on esquive d'habitude en passant au large, en laissant la manœuvre à d'autres. Écrire, d'une certaine façon, c'est peser son âme et laisser à d'autres le soin de contrôler cette pesée. Mais c'est aussi nourrir la grande âme du monde.
L'écriture serait-elle un devoir?
Cette question méritera une nouvelle approche, pas plus tard que demain...