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27 août 2009 4 27 /08 /août /2009 23:03
On dit qu'Homère était aveugle. Les latinistes auront reconnu une belle règle de grammaire, et les non-latinistes pourront en faire un tout autre beurre. Oui, Homère était peut-être aveugle, non-voyant corrigeront les aveuglés du bon sens. Remarquons au passage la difficulté ajoutée par ce para-langage pour qualifier une voyante non-voyante, qui se verrait (sic) ainsi disqualifiée. Mais revenons à nos moutons. Homère, à supposer qu'il ait existé en une seule personne et non comme un collectif d'écriture, a pu perdre la vue. Cela influence-t-il notre lecture de l'Iliade et de l'Odyssée? Certainement pas, car le texte l'emporte toujours sur la biographie de l'auteur, qui, lui, s'éloigne, puis se perd dans le temps et dans l'espace. Cette règle devrait reprendre ses droits, si bafouée soit-elle en notre époque d'imagerie débordante, d'immédiateté immédiatement oubliée et de "pipolisation" à outrance, plus simplement, de commérages et de voyeurisme malsains.



Cependant, les ponts sont-ils obligatoirement coupés entre l'auteur et son œuvre?



Remarquons d'emblée l'intérêt neuro-physiologique certain de poser la question du rendu de l'image par une personne privée de la vue, ou plus largement de la transmission d'un message sensoriel par une personne privée de ce même sens. La surdité de Beethoven nous fournit une autre matière à discussion. J'y reviendrai ailleurs.

Mais la vie d'un auteur influence-t-elle à ce point son œuvre que la lecture de celle-ci ne puisse être découplée de la connaissance de sa biographie? Si tel était le cas, nous aurions résolu la grande question de la création littéraire, voire artistique, et bien appauvri le débat. En pratique, nous pouvons mettre en relation chronologique des éléments de vie d'une personne avec des histoires racontées par elle, mais nous ignorons totalement par quels mécanismes intimes se produit cette élection de la vie à l'écrit, cette résurgence de l'urgence d'écrire, et du comment l'écrire. Le chemin est bien incertain entre l'œuvre d'une vie et la vie d'une œuvre. Ici, deux grandes écoles s'affrontent, la française et l'anglo-saxonne. La grande difficulté est qu'elles ont toutes les deux raison, donc qu'elles ont toutes deux tort, ce qui enflamme souvent les pires des discussions, et jette sur certains auteurs des brandons immérités, ou des palmes discutables, lorsque que, par un revers de pensée, on leur fait endosser le costume de leurs personnages.



On a pu dire que chaque auteur écrit toujours le même livre. Pourquoi pas? Les grands artistes savent retravailler un thème, le développer, l'enrichir, sans lasser. Alors, on comprend mieux certaines de leurs préoccupations, sans toutefois faire le tour de leur personnalité. Car, à bien y réfléchir, il s'agit profondément d'un regard renouvelé sur la grande quête que l'esprit humain mène depuis des millénaires, sans réponse définitive. Nous n'avons pas fini d'interroger la rose d'un sonnet de Ronsard à l'aune de notre propre vie. Nous n'avons pas fini de sonder le "silence effrayant des espaces infinis". Seule change la forme de notre approche dans cet éternel retour. Le lecteur est partie prenante dans ce débat incessant. Ses choix de lecture répondent à la boussole interne de son être. Et pour commenter le préalable de ce paragraphe, je pose que chaque lecteur lit toujours le même livre, espérant une réponse à quelque interrogation fondamentale. Rien n'empêche de penser que la personnalité de l'auteur est éclatée entre ses différents personnages dans des proportions imprécises, offrant des réponses partielles aux questions fondamentales de l'être humain. Pour peu que nous accordions foi à l'hypothèse de notre titre, et à l'idée d'un lien direct entre vie et texte, nous ne saurions toujours pas à quel moment de l'histoire de sa cécité Homère aurait chanté son œuvre, et dans quel sens celle-là l'aurait influencée. L'aurait-il su lui-même?



Reste l'œuvre offerte aux souffles du temps et aux lecteurs à venir. Reste une vie lovée dans l'histoire, dans le choix des mots, dans les personnages inventés ou sublimés, car Don Quichotte et les quarante-sept rônins se rejoignent au firmament de l'honneur malheureux et du rêve évanoui.



On sait que Cervantes était manchot...

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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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