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21 août 2009 5 21 /08 /août /2009 15:07
L’homme ayant voulu laisser une trace à ses successeurs, histoire et écriture se confondent, aux dires des savants. Mais faut-il que leurs bavures se répondent ? Nous laisserons aller le cours de l’histoire à son terme indécis, mais nous préférons mener notre écriture au bonheur. Celui-ci s’appelle littérature, et s’applique à toutes les formes, de la poésie la plus subtile aux essais les plus profonds.

L’écriture, la littérature… en ces temps de SMS, de « textos » d’orthographe défaillante, de paroles bafouillantes, de média-parleurs, d’imprécision linguistique… qu’en reste-t-il vraiment ? Mais sans nous appesantir en regrets stériles, nous préférons prendre la route, notre route, munis de quelques réflexions.

 

L’écriture n’est pas de la parole prise en sténographie ou enregistrée.

 

Si la lecture d’un grand auteur laisse cette impression, on s’est laissé prendre au piège de la facilité apparente, derrière un gros travail de mise en forme. Quelle énorme erreur de croire que Céline ou Frédéric Dard transcrivaient leur langage naturel ! Quant à l’apparence lisse des manuscrits de Marguerite Yourcenar, Simenon, Giono, ou d’autres grands (Jean de la Fontaine), elle masque aussi une intense préparation animée pour certains par une mémoire prodigieuse qui leur permettait d’ « écrire dans leur tête » avant de coucher sur papier cette pré-écriture.

 

Cependant, un texte de bonne qualité sonne bien.

 

Nous avons perdu l’habitude de lire à haute voix. C’est l’auteur, premier interprète de son texte, qui peut en éprouver la qualité sonore. Cela s’apprend ou se réapprend, et, comme disent les acteurs, se met en bouche. Il serait bien étonnant que dans notre pays de gastronomie, nos auteurs n’y parvinssent point. Mention spéciale doit être faite au sujet de la poésie, qui doit être servie par des interprêtes de talent, ayant largement dépassé le stade de l'emphatique attendu ou le ton pénétré de circonstance. Combien de belles poésies sacrifiées sur l'autel de l'enflure vocale, et souvent par leur auteur.

 

 

La littérature crée des images, parfois à son corps défendant

 

On illustre un texte en y insérant une photo, une image choisie. La bande dessinée serait l’extrême de cette pratique, ou son inverse. L’écrivain use d’autres moyens. Un des plus simples est la comparaison. Mais ici pullulent les images toutes faites (Le visage de la grand'mère, ridé comme une vieille pomme) qui affadissent plus qu’elles ne donnent à voir. Et même si la comparaison prend des formes nouvelles, séduisantes de prime abord, leur exagération alourdit l’histoire. La poésie, la chanson et le roman utilisent des moyens communs affinés par la forme dans laquelle l’histoire se moule. Un des formidables défis auquel est confrontée la littérature est l’envahissement de notre monde par une infinité d’images créées et déformées par des moyens informatiques mis à la portée du premier collégien venu, et consommées sous toutes le formes possibles, en histoires, en publicité ou ailleurs. C’est par une forme d’intelligence plus subtile que la littérature séduira l’imagination du lecteur.

 

Les expressions à la mode sont les bouche-trous de la pensée

 

Il est navrant de constater deux phénomènes en apparence contradictoires. Le premier est la réduction du vocabulaire qui bannit les mots de quatre syllabes, surtout s’ils sont spécifiques. Ils seront alors qualifiés de « jargon » par les cuistres. Le second est l’invasion des locutions omnibus, arrêtant chaque phrase, prétendant fleurir le discours, et n’apportant aucun élément nécessaire. Ainsi les « cerise sur le gâteau », « que du bonheur », « y’a pas photo » et autres « au quotidien » qui ne « sont pas notre tasse de thé ». Occuper l’antenne, remplir les blancs, tirer à la ligne, ne sont et ne seront jamais que de pauvres procédés pour aboutir à d’autres résultats qu’une page bien écrite.

 

 Dans toute langue existent le grand style et tous les niveaux intermédiaires jusqu’au pire trivial.

 

Maîtriser une langue nécessiterait de faire des incursions dans tous les recoins de ses étages, et d’adapter le terme le plus précis à la fonction souhaitée dans la situation donnée. La tâche est redoutablement ardue, quasi-impossible.

Le mélange des genres est très difficile à manier et théoriquement non souhaitable. Ainsi, n’imaginerait-on pas un Président de la République s’adresser à un quidam : « Casse-toi pauvre c… ». Un écrivain est mieux loti. Il pourrait mettre cette réplique en situation dans une œuvre, et pire encore, sans enfreindre la règle de vraisemblance. Remplacerait-il cette réplique par un sonnet sans défaut, qu’il n’aboutirait qu’à un effet comique ou déplacé.

Une belle œuvre littéraire est grosse de nombreux courants qui se conjuguent et s’harmonisent (au mieux) ou emportent le lecteur vers d’autres tourbillons. C’est pourquoi il faudrait savoir accepter une contribution, si hétérogène fût-elle, dès qu’elle nous porterait vers la grandeur ou la beauté, et mieux encore, vers les deux.

 

Alors, où sont les limites ?

 

Elles sont, comme souvent, sujettes à dicussion. Elles nécessitent une approche mêlant des qualités d’apparences contradictoires, l’audace tempérée par la prudence, le vivacité acceptant le calme, ou l’inverse, et tant d’autres critères. Mais c’est ainsi que la littérature touche le monde des arts (peintres, musiciens par exemple)  ou même celui du sport (la limite, disait un alpiniste, c’est déjà trop tard, on dévisse).

 

C’est pourquoi, affirmant hautement mon droit à choisir et à rejeter,  je n’aime pas que toutes les portes soient fermées, et encore moins par la censure institutionnelle. C’est pourquoi j'accueille les textes porteurs d’esthétique, de sincérité et de force. C’est pourquoi j'accueille des formes diverses. Je souhaite que le grand classique voisine avec Oulipo, que la poésie n’ostracise pas le policier, que le roman le plus ambitieux n’étouffe pas l’aphorisme ciselé. Je regrette la légalisation du délit d’opinion, car une littérature bien faite participe de la libre disputatio, et ouvre les meilleures portes sur l’avenir.

Amis auteurs, à vos plumes, à vos crayons, à vos claviers, à vos rêves, à vos textes !   

 

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commentaires

E
Bravo! Je suis mille fois d'accord.
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P
<br /> Désolé d'avoir tardé à répondre. Trop de préoccupations en cours, mais justement: si l'idée d'une publication éthique vous intéresse, suivez mon blog, et surtout les articles de la catégorie<br /> "écrire". Vous aurez bientôt des surprises. Cordialement.<br /> <br /> <br />

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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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