L'actualité, c'est-à-dire la sortie sur les écrans du film de Bertrand Tavernier, a stimulé LETTROPOLIS pour l'accompagner, en publiant sur notre site le texte, remis au goût du jour dont est tiré le scénario.
Ainsi est développée l'une de nos préoccupations littéraires, le lien entre l'écrit et l'image. Allons un peu plus loin par les lignes suivantes.
Le livre de Madame de La Fayette, la Princesse de Montpensier, est un court roman ou une ample nouvelle. Nous pourrions débattre jusqu'à plus soif de cette distinction qui nous ramènerait aux origines de la langue française, mais tel n'est pas le propos ici.
Ce texte, paru en 1662, traite d'une histoire dont la conclusion est contemporaine du massacre de la Saint-Barthélémy, un siècle plus tôt. Compte tenu de la sauvagerie de cet épisode, et des guerres l'ayant précédé, on pourrait croire que l'histoire de la princesse de Montpensier en dépend, ce qui ne serait, ni tout à fait faux, ni tout à fait vrai. Parlons plutôt d'une toile de fond intense et retenue à la fois, aussi possiblement policée qu'elle pouvait mener aux débordements les plus violents.
C'est en ce sens que ce court roman, acceptons-le ainsi par commodité, prend toute sa vigueur, en nous laissant voir, en contrepoint, que les mêmes forces sont à l'oeuvre dans les relations humaines, et spécifiquement dans les histoires où l'amour, joue sa propre histoire.
Une courte vue, trop courte, nous laisserait à penser que ces grands personnages venus d'outre-temps, drapés et huppés, fortunés et puissants, n'avaient qu'à se laisser vivre d'amourettes en historiettes, de ronds-de-jambes en galipettes, entre cour et châteaux, entre deux guerres pour se distraire ou pour s'occuper des affaires sérieuses du monde. Et pour un peu, poussés par des contrastes trop brutaux, on en viendrait à les fustiger sans appel au nom de la Mère Courage de Brecht. Ce serait amputer la vie d'une de ses parts les plus profondes, au moins aussi sombre que la vision brechtienne, en dépit des falbalas et autres mignardises.
Une approche biographique de l'auteur, nous ouvrirait quelques pistes, sachant qu'elle fut dame d'honneur d'Anne d'Autriche à seize ans, marié à vingt et un au comte de La Fayette, qui s'éclipsera ou sera éclipsé sans retour, semble-t-il, de la vie de sa célèbre femme. À ce moment nous viendrait l'immédiate conclusion d'une catharsis personnelle par écrits interposés, mais nous ne savons pas si Madame de La Fayette souffrit à ce point d'inclinations si violentes. Nous savons par contre qu'elle fréquenta les salons littéraires et d'autres gloires du temps où un esprit bien doué ne pouvait que se complaire à traiter de psychologie. Les théories organisées de l'inconscient n'avaient point cours en ce temps, mais cette façon de décrire en surface des événements pris dans des tumultes qui dépassent les plus grands montre bien les abîmes sur lesquels des vies peuvent s'agiter au risque de se fracasser, esquifs secoués sans liberté de manoeuvre par la tempête amoureuse, une fois celle-ci déchaînée.
Il est essentiel de saisir que dans cette histoire, les événements tragiques de l'époque considérée ne passent au premier plan que pour être immédiatement relégués, mettant en lumière la passion amoureuse et ses débordements, tristes ou mauvais, selon l'approche spinozienne. Ainsi, même la Saint-Barthélémy où le comte de Chabanes perdra la vie, ne sera que la cause par laquelle notre princesse, que l'on croyait prête à recouvrer la santé après la terrible crise de Champigny, rechutera sans remède.
Mais avant cela nous aurons vu chacun des personnages mettre en jeu sa vie ou son honneur, l'amitié et l'estime de l'un ou de l'autre, au sens le plus fort de ces termes, tels qu'ils en étaient chargés à l'époque. Alliances, liens de subordination, conflits politiques ne sont là que pour se défaire au nom de l'amour, ou pour fournir de temps à autre une sauvegarde précaire à l'un des personnages.
Nous retiendrons parmi ces forces à l'oeuvre le mot "inclination" si souvent employé, que nous souhaiterions désaffadir de son état actuel, pour le faire revenir à ses origines, y compris jusqu'à celles de l'androgyne universel, évoqué par Platon, mais cela nous pousserait peut-être vers un déterminisme. Ici, serait-ce vraiment une faute de sens ?
On le voit, ce court roman, peut-être justement parce qu'il est court, ouvre des perspectives presque sans limites. Il peut être repris, et il le fut d'autres manières. Par Madame de La Fayette elle-même, puisqu'on pourrait dire qu'il s'agit d'une préparation à la Princesse de Clèves, de si mauvaise réputation présidentielle (voir mon article à ce sujet dans le même blog). Mais comment ne pas voir dans la personne du comte de Chabannes, ce porteur de lettres écrasé par le fardeau de cet amour impossible, l'ancêtre du Cyrano de Rostand, lui aussi écartelé entre la coquetterie de Roxane et la "belle gueule" de Christian. Mais décidément, les "facteurs", en ces histoires en subissent des revers plus ou moins lourds, qu'ils soient hommes faits en périodes de guerre, ou enfants pris dans d'autres fébrilités, comme le Messager de Losey.
Et puisque nous en sommes à sa postérité, ou au moins à sa parenté psychologique, n'oublions pas que, quinze ans plus tard, à peine, paraissait le Phèdre de Racine, où la même tempête emportait ses protagonistes.
On comprend mieux Camus, dans ses carnets posthumes, notant que "pour Madame de La Fayette, l'amour est un péril. C'est un postulat... et l'on sent une constante méfiance envers l'amour."
Peut-être, poussé en cette voie, faudrait-il retoucher le Mythe de Sisyphe et demander si la vie, venant des forces de l'amour, vaut la peine d'être vécue.
La Princesse de Montpensier
LETTROPOLIS
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