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9 août 2010 1 09 /08 /août /2010 18:42

1-SAINT-ANTHONY_modifie-1.jpg

 

 

Pour peu que le commandant de bord du Paris-Montréal ait pris soin de vous annoncer les étapes de la route nord, vous saurez que la partie océanique du vol se termine à Saint-Anthony. Outre cette occasion, il y a peu de chance que vous ayez jamais entendu parler de cette ville qui est notre prochaine étape, terrestre cette fois. Pourtant, elle existe, et même elle mérite d'être vue.

 

Saint-Anthony est donc la capitale -- usons du terme avec modestie -- de la pointe nord de la Péninsule Nordique de Terre-Neuve. Son aéroport, dont j'apprends en même temps l'existence, se situe à plus de cinquante kilomètres de l'agglomération, ce qui surprend en ces lieux peu habités, mais je suppose que de bonnes raisons techniques ont présidé à ce choix.

 

La vocation de la ville est fondamentalement maritime, depuis ses origines un modeste village de pêcheurs jusqu'à ses installations actuelles. Je ne saurais donner un panorama économique de ses activités présentes, mais je m'intéresse davantage à son urbanisme et à sa localisation sur les berges de la Baie française. Imaginez une ouverture aussi rectangulaire que possible, séparez-là en deux rectangles inégaux par une avancée de terre aussi longue, et nichez la ville sur les trois berges du plus petit des rectangles, que vous avez réussi la recette est simple à replier un peu à son extrémité maritime en un goulet perpendiculaire à sa direction principale. Et puis, lancez la ville sur chacune des berges pour y prendre ses aises, mais pas trop. Le secret est là.

 

Ainsi construite, Saint-Anthony réussit le tour de force de ne pas dénaturer le site, de ne pas grimper agressivement à l'assaut des crêtes, d'avoir laisser couler ses rues comme des rivières tranquilles et d'y avoir installé ses maisons de façon à ce que chacune profite à son goût du panorama magnifique qu'on lui propose. Saint-Anthony réalise la gageure d'avoir gardé l'esprit des villages de la côte, et d'y avoir adjoint assez de structures fonctionnelles pour en faire une ville, sans tomber dans les travers des cités plus grandes. Il faut reconnaître que la capitale de Terre-Neuve, Saint-John, a également suivi cette tendance, que son port protégé par le goulet perpendiculaire à la rade accuse cette ressemblance, et que son développement a gardé une bonne aération entre les îlots d'urbanisation, d'une colline à l'autre. Mais ainsi, la belle alliance du port et des collines s'est perdue. Gardons donc Saint-Anthony comme un bel exemple d'urbanisation suspendue entre le trop et le trop peu.

 

La route principale mène à l'extrémité du doigt de falaises qui protège le goulet. Un système de sentiers est aménagé de façon intelligente, simple et fonctionnelle, qu'ils courent, sinueux entre la végétation buissonnante, sur les rives rocheuses, ou qu'ils montent par un escalier de bois, jusqu'à un belvédère... qui aujourd'hui se perd dans le brouillard. On a donné le nom de Jacques Cartier à cette piste. Le célèbre explorateur y a-t-il vraiment posé le pied ? Mais si les touristes se prennent à rêver de découverte, pourquoi pas ?

 

Nous reparlerons de Saint-Anthny, car un autre homme d'envergure y a mené un beau combat. Mais, patience...

 

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5 août 2010 4 05 /08 /août /2010 16:49

1-ELANE.jpg

 

Bonjour, je m'appelle Élane, et je vis dans les bois. Telle que vous me voyez, j'ai pris la liberté d'afficher ma meilleure photo, et de sauter sur l'occasion que le dernier article m'offrait. Je me suis proposée pour tenir la plume. Bien sûr, c'est une façon de parler, et ce clavier n'a pas l'ergonomie adéquate pour mes sabots. Mais je ferai de mon mieux. Lorsqu'on vit dans les bois, on apprend mille choses pratiques, et on s'adapte. C'est une forme d'intelligence qui ne mérite pas le mépris dont certains l'accablent parfois.

 

Je ne veux pas dire qu'il faille s'y cacher sans oser regarder au-delà. Car sinon, comment augmenterions-nous nos connaissances ? Cependant, il est parfois risqué de se découvrir ainsi. De temps à autre j'entends de grands bruits, comme des arbres qui tombent, ou du tonnerre qui gronde, et l'un d'entre nous ne revient pas. On raconte que des animaux à deux pattes, armés de longs bâtons, hantent nos forêts profondes. Le vieil oncle Robert les a vus. Il parle d'une sorte de flamme et d'une douleur profonde dans la jambe. C'est depuis ce temps-là qu'il boîte. Alors il reste sur son ancien territoire, et il raconte à qui vent l'entendre ses mémoires. Il dit que tout cela ne doit pas se perdre. Comment cela devrait-il se perdre ? Je ne comprends pas très bien, mais je le crois. Il porte beau sa fière parure et son regard plonge en des mystères anciens.

 

Nous devons donc apprendre à nous méfier des animaux à deux pattes et de leurs longs bâtons. Mais ce ne sont pas les seuls risques de la forêt. Certains quatre-pattes ont le regard luisant et des dents acérées. Il faudrait que je m'entraîne davantage à ruer de toutes mes forces et à foncer tête baissée, mais quelque chose me dit que ce n'est pas mon destin. Je crois que je laisserai cela à l'un des beaux garçons qui se rapprochent de mes traces. Je vois ses muscles saillir et son pas se raffermir lorsqu'il me rencontre, et il me montre les clairières où poussent les herbes les plus tendres. Je devine qu'ainsi, il veut me faire savoir que je lui plais.

 

Mais pour l'instant, je souhaite gambader un peu, sentir le doux contact des feuilles sur ma peau, humer le vent du soir, et vous écrire ces quelques lignes. Il est si rare que l'on puisse se faire entendre, et pour une fois...

 

J'espère vous retrouver un jour.

 

Bien attentivement,

 

Élane

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4 août 2010 3 04 /08 /août /2010 15:23

 

cCAILLOU-RALEIGH.jpg

 

Ainsi que la route nous l'impose, il faut maintenant rebrousser chemin et longer la baie de Pistolet. Deux chemins s'offrent, et celui de Raleigh est le premier élu. Il mène à un autre de ces charmants villages étirés le long de la côte. Ici, la terre avance un doigt qui délimite la baie de Ha-ha, curieusement nommée. L'histoire de ce nom doit bien traîner quelque part, mais comme je ne la connais pas, autant laisser l'imagination vagabonder.

 

Quoi qu'il en soit, la petite cité s'enorgueillit d'avoir fondé avec beaucoup d'avance, la réserve écologique de Burnt Cape qui occupe la crête du dit cap. Il est possible de la traverser seul, ou accompagné d'un guide. Plus de deux cents espèces de plantes ont réussi à surmonter les rigueurs du climat et des conditions maritimes. On devine, sans être spécialiste, leur organisation quasi sociale, un premier foyer, entouré de cercles de défense, des projections rampantes, mais également des échecs laissant place à de longues étendues rocailleuses. Du haut de ce chemin, nous retrouvons, dans les brumes du nord-ouest, la haute masse d'un bel iceberg.

 

Il est également possible de suivre la côte à fleur d'eau où les rochers battus, érodés, limés par les vagues et les millénaires ont pris des formes étranges, tantôt allongées comme requins pétrifiés, tantôt condensées comme poings émergeant du sol. La réserve possède aussi d'énormes cavernes. Laissons-les pour une autre fois, ce qui est une devise personnelle du voyage : ne pas s'exposer à la satisfaction orgueilleuse et stupide d'avoir tout vu, mais au contraire, se laisser toujours une chance de découvrir ou d'imaginer, selon ce que la vie réserve.

 

Notre chum bien protégé dans un renfoncement de la piste côtière, nous pourrions rester tant et plus de jours, mais jusqu'à quand ? Raleigh est la dernière étape avant Cape Onion, dont le nom évoque certainement une vieille histoire. Mais lui aussi, laissons-le pour une autre fois.

 

Il faut maintenant satisfaire aux obligations du tourisme de masse : c'est l'anse aux Meadows, qui serait le premier site de peuplement par les Vikings au Nord de l'Amérique. L'Unesco ayant décrété, il faut venir ici. Faut-il y rester ? Chacun appréciera. Je lance un "bravo" rétrospectif aux anciens navigateurs qui ont mené ici leurs embarcations, au mépris de tous les principes de précaution, un "merci" aux scientifiques qui ont découvert cette pièce importante de l'histoire du monde, et un autre aux esprits éclairés qui en tireront les conséquences adéquates. Pour le visuel, un sentier mène à d'anciennes forges de minerai de fer. J'en connais d'autres, bien gauloises, bien plus anciennes, au-dessus de Guéret, dans la Creuse, qui ne bénéficient pas du même engouement. Tant mieux.

 

Le moteur ne demande qu'à tourner encore un peu, pour découvrir un merveilleux paysage, parsemé d'îles, de courants marins, de baies solitaires, et du grand souffle de l'océan. Quirpon nous accueille, dans le silence et la beauté. Ici, pas d'Unesco, pas d'obligation d'applaudir, simplement un vieux ponton d'où l'on peut embarquer vers une auberge, sise sur une île voisine. Un voyageur a écrit que pour y séjourner à vue des icebergs et des baleines, le Capitaine Achab aurait donné son autre jambe. Pourquoi pas ? Mais que serait devenu Moby Dick ? De la charpente du quai pendent des cordes où l'on doit accrocher des prises. Un regard vers l'eau montre des ossements multiples. Compte tenu de leur forme et de leur taille, oublions les poissons.  De quels restes s'agit-il, de clients mécontents de l'auberge, des élans qui foisonnent dans la région, ou de touristes insouciants ?

 

Qui écrira le prochain article de ce blog ?

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2 août 2010 1 02 /08 /août /2010 19:26

BATEAUX-FLOWERS-COVE.jpg


 

À partir de ce moment, il suffit de se laisser porter par la route qui monte vers le Nord de la Péninsule Nordique. Flowers Cove sera notre deuxième étape. Autant dire que nous avançons sans excès de vitesse. Juste avant l'agglomération, une route mène à un sentier en bois, destiné à traverser une zone de préservation écologique. Quelques promeneurs accomplissent leur devoir. Il suffit de porter les yeux un peu plus loin, là où la terre l'emporte sur l'asphalte, pour accéder à un cimetière de bateaux de pêche. En fait, un hangar château de cartes n'attend qu'un coup de vent pour s'effondrer, et je ne trouve aucune trace d'activité récente. Le cimetière lui-même est abandonné. Les tôles découpées sont entassées sans ordre ni logique apparente, et certainement depuis des années, les carcasses en bois attendent on ne sait quels fantômes de travailleurs sur des berceaux branlants, et d'autres ont fini par se flanquer au sol, exposant ainsi leurs ponts dévastés. Certes, ce n'est pas l'ambiance du cimetière marin de Valéry, c'en serait même une version sauvage, disgracieuse, mais plus forte, si l'on imagine la dureté du métier de marin, ses périls, et l'abandon où disparaissent ces embarcations qui furent leurs compagnes de vie et de survie. Une pensée pour ces hommes, pendant que d'autres pleurnichent sur des concrétions calcaires qui parsèment tout la côte.

 

Une énumération des noms de bourgades donnera l'ambiance : la Crique sans Nom, la Crique sauvage, la Crique sableuse, La Crique des Barres rocheuses, la Crique de l'île verte. Et puis la route pique à l'est pour rejoindre l'extrémité nord-est de la péninsule, où elle bute contre la Baie du Pistolet.

 

Ici, si vous allez à droite, vous trouverez bientôt les traces les plus importantes du tourisme de masse. Nous irons aussi, mais faisons d'abord notre provision de beauté tranquille. La route ouest, bientôt piste, offre la beauté sauvage du détroit de Belle-Isle, qu'elle longe, tantôt à fleur d'eau, tantôt sur des falaises déchirées. Et comme le temps s'est mis au gris, au vent et à la pluie intermittente, il faut imaginer ainsi les icebergs qui traversent devant nous, comme Hollandais dérivants, les cétacés qui jouent en groupe, pris parfois d'une exubérance incompréhensible qui les jette hors de l'eau, les fous de Bassan lancés en leurs piqués sauvages. Ici, aucune bousculade à craindre, si ce n'est celle des rafales contre la carrosserie, perchée sur un promontoire.

 

Encore un peu plus de nature ? Nous revenons vers une piste accessoire qui mène à Big Brook. Dès le début, un panneau défraîchi avertit que nous pénétrons à nos risques et périls dans une zone à évacuer. Il doit y avoir quelque part un technocrate satisfait. On dépasse des zones de coupes de bois et quelques îlots possiblement habités, puis le paysage se fait encore plus rocailleux. Un coyote nous regarde passer. Il prend la pose, en sa beauté tranquille, se lèche un peu, et s'en retourne à des occupations que l'on devine plus nutritives. Plus loin, une structure élevée se détache. Serait-ce la flèche d'une grue ? Non, ce sont les superstructures d'un bateau poussé à la côte. Il devait faire une bonne cinquantaine de mètres à ce que j'en juge, selon ce qui reste de la partie arrière, et ses tôles déchirées parsèment le littoral sur une bonne centaine de mètres. Que s'est-il passé ici ? Un historien répondrait peut-être. Rêvons.

 

Enfin, le bout de la piste, où un pont a été détruit, et le village abandonné de Big Brook. Un panneau nous avertit cependant des conditions et du permis nécessaires au pêcheur perdu. Ah, la féodalité administrative ! Je suis sûr qu'il existe quelque part un imbécile rêvant de planter un panneau semblable au pôle Nord.

 

Certaines maisons sont complètement effondrées, d'autres semblent n'avoir été délaissées que depuis peu. Les rideaux sont aux fenêtres, le câblage électrique persiste, les peintures sont à peine écaillées. Pourtant, à bien y regarder, les allées, sans être envahies, ne montrent pas de traces récentes, çà ou là manque un escalier, apparaît une planche en travers d'une fenêtre, et le vieux quai semble avoir subi des tempêtes dont personne n'a réparé les dégâts.

 

Abandonné ? Pas tout à fait. Au moment où nous repartons, du bout du village s'élève une fumée, et une voiture apparaît. Peut-être avons nous dérangé un ermite, un obstiné, un solitaire. Nous ne le saurons jamais, car, bien que nous nous arrêtions pour l'attendre, la voiture n'apparaîtra pas. Imaginez la suite que vous souhaitez.

 

Amoureux de voitures bichonnées, de carrosseries étincelantes, d'amortisseurs souples et d'escales répétées chez Tim ou autre Mac, ne venez jamais ici, et tout le monde sera content.

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30 juillet 2010 5 30 /07 /juillet /2010 17:44

POND-COVE.jpg

 

Aucune des hypothèses soulevées au verso de notre billet n'ayant été menée à terme, la traversée du détroit de Belle Isle s'est passée sans encombre, en droite ligne, exception faite du dernier changement de cap nécessaire pour accoster, et par mer calme. sans le moindre roulis ni le moindre tangage. Le groupe de touristeues (ce sont des femmes) anglo-fortephones qui a investi la salle s'en donne à langue-joie. Gageons que si le temps avait viré à l'aigre, elles nous en auraient donné à haut-le-cœur-non-joie. Tout est donc pour le mieux sur l'Apollo.

 

Sainte-Barbe nous accueille, je parle bien sûr du port de débarquement, tout aussi modeste que notre port de départ. Nous voici donc dans la région Nord de la Péninsule nordique de Terre-Neuve, et notre intention est d'avancer autant que possible dans cette direction. C'est ce que j'appelle le syndrome du bout du bout, une sorte de maladie ambulatoire qui consiste à pousser plus loin, vers un bout sans lequel, on pourrait dire, qu'il aurait manqué un bout à la route, et à partir duquel il ne reste plus qu'à faire demi-tour. Les amis des questions sans réponses (c'est-à-dire posées de travers) retrouveront l'infini problème des bouts du bâton qui se multiplient à l'infini chaque fois que l'on en coupe un bout, et ne disparaissent qu'avec lui.

 

Et c'est ainsi que dix kilomètres plus loin, une lumière rouge s'allume sur le tableau de bord : la batterie ne charge plus. Un rapide examen du moteur permet le diagnostic : la courroie de l'alternateur a disparu. À sa façon, elle a mis les bouts. J'ai une courroie de rechange. Il suffit de démonter, à proximité de l'église anglicane d'Anchor Point, pour s'apercevoir que ce n'est pas le bon modèle. Dans tous les bons récits de voyage intervient ici le célèbre "truc du bas nylon", mais comme la mode a changé, que le temps passe, qu'un dépannage "à la corde" me paraît aléatoire, autant trouver un garage. Le plus proche est à Plum Point, trente kilomètres au sud. La batterie tiendra jusque là.

 

L'alternateur a ceci de particulier, que son écartement de la poulie principale est variable. Il est donc possible de trouver sur place une courroie adéquate. S'il avait fallu changer celle du démarreur, le remplacement eût été plus aléatoire. Mais on trouve toujours des stationnements en pente. Il suffit d'y penser.

 

Et maintenant, cap au nord, pour quelques kilomètres seulement. D'une part, le soir s'annonce, et d'autre part, sur le chemin de Pond Cove, une langue côtière nous accueille. Oui, nous sommes bien à Terre-Neuve, les sentiers existent, les routes s'ouvrent vers des chantiers, des carrières, les plages sont accessibles, désertes ou à peu près. Ici, près d'un vieux hangar s'entassent des casiers qui ont fait la vie d'un pêcheur. Depuis combien de temps ? Vit-il encore ?

 

La côte offre ses kilomètres de grève aux marcheurs impénitents (aucune allusion politique à la française) et la clarté de l'eau fait plaisir à voir. Nous sommes enfin à Terre-Neuve.

 

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25 juillet 2010 7 25 /07 /juillet /2010 17:29

BLANC-SABLON.jpg

 

 

Blanc Sablon est le port d'embarquement pour Terre-Neuve. La géologie environnante montre que la ville, la bourgade, mérite bien son nom. Sur la porte du bureau au bord du quai, lequel résume les installations portuaires, nous lisons que nous avons manqué le dernier bateau du soir. Mais comme il y en a trois par jour en cette saison et deux en fin de semaine, et que l'indépendance est notre lot, nous reviendrons demain.

 

A quelques minutes de là, une autre bourgade, Lourdes de Blanc-Sablon, nous offre ses avancées rocheuses, débarcadères naturels pour les pêcheurs, et nous mettons un réveil pour le lendemain, tenant compte des horaires lus sur la porte de la compagnie maritime.

 

Le réveil est une merveilleuse invention ajoutée à celle de la montre, laquelle est une merveilleuse invention ajoutée à celle des heures, laquelle est une merveilleuse invention ajoutée au jour qui passe, lequel est complété par une autre merveilleuse invention, à savoir les fuseaux horaires, lesquels permettent aux voyageurs de se caler avec le temps local, sauf... ici. En effet, Blanc-Sablon se trouve au Québec (GMT - 5) sauf dans cette partie orientale (GMT - 4), en frontière du Labrador (GMT - 3h30). Par excès de prudence, nous arriverons donc en avance, mais pas encore assez pour les opérations de vente des billets qui ont déjà commencé.

 

Ce petit bureau est un subtil mélange de précision et d'invention. Au hasrd des murs, quelques notes dispersées ajoutent les renseignements qui font défaut, à savoir que les horaires sont donnés en temps du Labrador, ou plus précisément de Terre-Neuve (qui se trouve aussi être GMT - 3h30). Un autre note perdue dans un autre coin, apprend que les passagers ayant réservé leurs billets doivent suivre une ligne rouge marquée au sol, et que les autres suivront une ligne bleue. Une troisième note, encore plus cachée, informe que ce bureau ne peut pas faire de réservations, qui doivent se faire par téléphone ou internet.

 

La file rouge ayant été servie, c'est au tour de la bleue, et les premiers de cette file bénéficient des places possibles. Comme ce n'est pas notre cas, nous recevons des tickets bleus numérotés, et nous donnons notre nom, ce qui nous servira ... de réservation pour la prochaine distribution de billets qui se fera à 12 heures, heure de Terre-Neuve précise la guichetière, sur la ligne rouge. Elle ferme son bureau et s'en va.

 

Nous restons, et heureusement, car, vers 11 heures (Terre-Neuve) elle reprend son office, selon la bonne règle (précisée par une autre note) : premier arrivé, premier servi. Nous sommes maintenant dans la ligne des réservations. Une certaine logique reprend ses droits, et Phileas Fogg y aurait perdu son flegme.

Nous prendrons donc l'Apollo, pour un "croisement" de une heure et demie, comme nous le précise le haut-parleur du bord. Je pense qu'il s'agit d'une nouvelle race canine croisée entre labrador et terre-neuve. Quand je pense que partout ailleurs au Québec le terme "traversier" a heureusement remplacé notre inutile "ferry", quelle drôle d'idée que ce "croisement".

 

Enfin, saluons les efforts méritoires de ceux qui fabriquent ce nouveau sabir, dont témoigne l'illustration de cet article : la pancarte placée en début de ligne rouge, dont le sens devrait paraître obscur à tout francophone qui souhaite un peu de clarté, et qui correspond à l'inverse de ce qu'un essai de traduction en français peut faire croire. Mais finalement, tout s'est bien passé, dans la bonne humeur, et sous un beau soleil.

 

Quoique, lisant les conditions marquées au dos du billet, je me suis senti brutalement soumis à des conditions léonines. Les voici. Art 1: "La personne qui achète ou utilise le présent billet assume le risque de toute perte de biens ou de blessure corporelle, même mortelle, qui seraient causées par les dangers de la navigation ou un manque d'attention dans la conduite du navire ou qui en découleraient, même s'ils résultaient de la négligence du transporteur, de l'armateur, ou de leurs préposés ou agents."

 

Je laisse deviner l'esprit des autres articles. Encore heureux, qu'il ait fait beau, et que l'Apollo est un bon bateau...

 

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22 juillet 2010 4 22 /07 /juillet /2010 20:20

ICEBERG.jpg

 

 

Nous poursuivons la boucle, et la route, après un mauvais passage, s'améliore considérablement. C'est le tronçon qui est ouvert depuis moins d'un an. Il nous mènera de Happy Valley à Cartwright et au-delà.

 

Au début, j'ai le vague espoir que les décideurs ont prévu des sites permettant un arrêt de temps à autre. Espoir vite déçu. Ils ont même pris l'option inverse : couper tous les accès aux anciennes carrières ou autres lieux de travail désertés qui permettraient un arrêt à l'automobiliste flâneur ou au camionneur pris d'une envie pressante, ou vice-versa. Hors l'arrêt sur piste, presque pas de salut.

 

Il est évident que certaines données techniques peuvent, par moments, imposer ces choix. Par exemple, un surcoût imprévu, laisser un libre passage aux eaux courantes. Mais il en est tant d'autres où suinte seulement la bêtise indécrottable... Bureaucrates de tous les pays, unissez-vous ! Ah ! C'est déjà fait...

 

Bref, nous avançons, et le paysage change. Les arbres s'espacent, le buissonnement augmente, d'énormes rocs apparaissent librement par milliers. Ils ont été roulés par la vieille calotte glaciaire dont les deux kilomètres d'épaisseur ont fondu sans l'intervention d'aucune voiture (Bizarre, non ?). La pente s'inverse, et bientôt (façon de parler après quelques centaines de kilomètres)... thalassa ! L'Atlantique fait revivre le Méditerranéen, en même temps qu'il chasse les moustiques. C'est ce qu'aurait pu écrire Xénophon.

 

Arrivée à Mary's Harbour, puis à Red Bay. Au loin, la côte de Terre-Neuve. Après une promenade dans le village, rencontre avec un autre voyageur qui arrive de Vancouver. Il a pris quatre mois mais, c'est trop court. Oui, le Canada est grand. J'apprends qu'il a commandé un bateau pour aller voir de près un iceberg. Il est vrai que la saison se prête à ce que l'allée des icebergs, comme on l'appelle, soit fréquentée. Pourquoi pas ? nous partagerons les frais. Le bateau arrive et quasiment sans négociation, les prix sont bien bas : cinq dollars par personne. Nous étions trois (non marins de Groix) mais les occupants du voyage précédent sont tellement satisfaits de leur promenade qu'ils ré-embarquent. Une navigation d'une dizaine de minutes nous amène à... lui, le grand blanc, le big glaçon voyageur, le ... tellement beau que je me réserve le droit d'en reparler ailleurs. On passerait des heures à le regarder, brillant mais non aveuglant, généreux de forme à damner tous les peintres cubistes, tous les architectes, tous les sculpteurs de la terre, et pour des générations. Tranquille, offrant au bleu profond de la mer la base d'un vert apaisé, libéré d'un couchant instantané en une dérive bienveillante.

 

Alors la frénésie s'empare de notre petit bateau. Nous voulons, le voir plus près, le toucher, le manger, et comme le capitaine ne veut pas rebaptiser son navire en Titanic, il nous en trouve un autre, plus petit, déjà prêt à se laisser cueillir. Un grand bloc est remonté à bord, dépecé comme un animal vivant. Le "nous" devient "on". On le prend en main, on le palpe, on le suce, on le croque, on en prend notre part, on se congratule, on devient tribu par la grâce d'une glace fondante vieille de quelques millions d'années.

 

Ce soir, c'est queue de coq au camion. Traduction délirante et mélangée (c'est bien le moins ) "cocktail". Je vous en donne la recette : un bon glaçon d'iceberg, une honnête rasade de whisky canadien sec (Amherst gate) et une coulée de whisky à la cannelle (Fireball). Mais vous pouvez varier : un coup de Fireball, une cascade d'Amherst gate, ou alors, un trait d'Amherst gate et une rincée de Fireball, ou alors... Enfin c'est à consommer sans modération (bien entendu, c'est du glaçon que je parle, de l'iceberg, car ce n'est pas tous les jours qu'on expérimente une nouvelle queue de coq à la la baie rouge, je veux dire un nouveau cocktail à Red Bay.

 

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 13:39

HERB-BROWN.jpg

 

 

Une autre destination à ne pas manquer à Happy Valley, est la Birches Gallery, en français la Galerie des Bouleaux. Les musées ont certes leur nécessité, les galeries d'art n'en ont pas moins, avec bien sûr, les avantages et les inconvénients de la découverte. Ici, les objets présentés sont tous remarquables.

 

Une galerie dépend avant tout de son propriétaire. Il s'agit ici d'Herb Brown, un homme d'allure sympathique, et plutôt que de lancer trois regards et de partir, il est préférable de nous présenter. Le dialogue est toujours une source de vie. Dans les années 70 Herb sillonnait les routes américaines avec un VW. Cela nous rapproche déjà. Puis il fut instituteur dans de nombreuses communautés éloignées, où, comme il dit, "il ne faut pas avoir peur du froid". Il a pu apprendre bien des choses sur le mode de vie de ces populations, et en tirer de nombreuses expériences. Pour avoir déjà évoqué ce sujet avec d'autres personnages, il faut oser dire que les ignorants qui auraient tendance à y voir un paradis de relations sociales ont encore beaucoup à apprendre. Mais tel n'est pas le sujet du jour.

 

C'est ainsi qu'Herb, à la retraite, a lancé cette galerie où se contemplent les merveilles que des hommes simples ont pu réaliser. Nous retrouvons ici des œuvres de Gilbert Hay, et de beaucoup d'autres, qui toutes affirment leur identité autant que leur maîtrise. La sculpture est dominante, sur pierre, sur bois de caribou. Mais on trouve aussi des poupées à conserver le thé (en fait il s'agit d'une herbe locale dont l'odeur évoque celle de certains thés), quelques bijoux. Manifestement Herb a exercé son œil et ne présente que des pièces remarquables.

 

D'ailleurs, arrive une dame. Elle présente deux petits objets en forme de queue de cachalot que son mari a sculptés. Lui, attend dehors. La transaction se passe. En partant la dame prend livraison d'une douzaine d'œufs, car Herb est aussi un fils de fermiers qui d'une certaine façon, poursuit une tradition familiale. Ses parents immigrants russes, avaient fait prospérer une laiterie dans les grandes plaines de l'Ouest.

 

Si vous avez de la chance, Herb vous fera accéder à sa maison où d'autres merveilles enrichissent son domaine. Alors, vous prend une terrible envie de rester à contempler l'harmonie de l'ensemble, captée par l'architecture, construction personnelle du maître des lieux, "une maison dans une vie" précise-t-il.

 

En outre, Herb ouvre d'autres pistes vers la beauté. Sa femme, Dorrie, professeur d'art, a stimulé la création de carreaux de terre cuite par des enfants de 12 à 18 ans, provenant de différentes communautés, Innu, Inuits, Métis et non aborigènes. Le résultat : un mur de 54 panneaux, une pure merveille. Les photographies en témoignent. Nous ne pourrons que deviner de loin cette réalisation, à travers les vitres du centre artistique, actuellement fermé. Mais le livre qui illustre cette expérience part avec nous. Il est dédiée à la mémoire de la jeune Kitoa Boase. Je n'en dirai pas plus, mais ouvrons les yeux, sur l'art, et sur l'autre versant de l'âme humaine.

 

(Sur la photographies d'introduction, Herb présente en photo, la réalisation d'un de ses éléves sur une vertèbre de baleine).

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 17:49

REACTEUR-AVRO.jpg

 

 

Il a fallu une bonne guerre bien chaude et une autre bien froide pour faire de Goose Bay-Happy Valley une base stratégique pour les avions. Nous sommes en territoire canadien, mais il serait ridicule d'oublier la présence ici de la grande puissance américaine. La ville par elle-même n'a rien de spectaculaire, limitée à 7500 habitants, très classique par ses pavillons bien tenus et son allure de bonne banlieue.

 

Il est plus intéressant de faire un tour dans la base qui est ouverte au public, et spécifiquement de visiter le petit musée militaire, qui fait la fierté de Max, le président local de la légion des vétérans, et de son petit-fils qui nous y accueille.

 

Ici encore, nous sommes à l'échelle de la bonne volonté, de la maquette, de la petite histoire qui n'a pas à rougir devant la grande, car celle-là nous met directement en relation avec les hommes qui l'ont faite, et non avec les grandes institutions qui l'ont modelée. C'est pourquoi, ceux qui ont visité les grands musées d'aviation, comme celui du Bourget ou du Smitsonian Institute de Washington pourraient regarder de haut, si j'ose dire, les collections d'insignes militaires, les livres données par les témoins de la guerre, les vieux uniformes. Ils oublieraient alors que ceux qui les ont portés ont donné leur vie, dans le plus strict anonymat et que nous leur devons un peu plus qu'un regard apitoyé.

 

Notre jeune guide évoque ces drames, dont certains tiennent de la malchance ou des mauvaises conditions atmosphériques, et d'autres, de subtilités plus cachées des conflits. Ainsi, pourquoi tel bombardier est-il allé se perdre et s'abîmer vers le nord, alors qu'un sous-marin allemand croisait dans les parages ? Quelles indications ont mené son équipage à la mort, et comment ne pas éprouver notre part d'angoisse devant l'hélice cassée qui nous est ici présentée, comme un mini-monument du souvenir ?

 

Plus loin, la biographie d'un simple soldat nous est montrée. Elle pourrait faire le scénario d'un film. Il mourut pendant la seconde guerre mondiale, et sa tombe fut plus ou moins abandonnée, jusqu'au décès de sa femme, longtemps après, qui souhaitait reposer à côté de son mari. Après de longues recherches, le Président des vétérans réussit à retrouver la fameuse tombe et à permettre à la famille, émigrée en Nouvelle-Zélande, d'accomplir les ultimes volontés de cette dame.

 

Les souvenirs de la guerre froide ne manquent pas non plus, tels les instruments de surveillance aéronautique, qui font figure de jouets antédiluviens par rapport aux moyens modernes. On devine que ceux-là ont été récupérés avant de finir en quelque benne. Je vous l'ai dit, ne méprisons pas la bonne volonté touchante qui fait le charme de l'ensemble.

 

Aujourd'hui, la base sert à l'entraînement de différentes armées, dont l'allemande et la hollandaise, et même la française, aux vols à très basse altitude et aux conditions météorologiques extrêmes. Les pistes ont dont été rallongées pour tenir compte des nécessités des avions contemporains. Mais de temps à autre, de curieuses parties d'échecs diplomatiques peuvent encore se jouer ici. Ainsi on vous présentera une photo d'ensemble où il faut un oeil averti pour déceler un avion, et pourtant c'est l'un des plus gros du monde, un Antonov russe. Il avait fait escale à Montréal pour se ravitailler en essence, et avait oublié de payer la note. Il a donc dû atterrir ici, un peu aidé par la chasse canadienne. Mais chut...!

 

De telles histoires ne sont pas de celles que les grands musées nous dévoilent. Et il y a mieux encore. C'est le destin ahurissant du réacteur Avro réalisé il y a près de cinquante ans, pour un avion Arrow, qui selon les spécialistes, serait encore capable de rivaliser avec ceux d'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, ses capacités durent inquiéter quelques personnages de la cour des grands, et les plans du réacteur furent détruits, et ses derniers exemplaires également sauf... devinez... oui, celui dont la photo orne cet article. Selon la petite histoire, son possesseur réussit à le subtiliser au nez et à la barbe des autorités, et à lui faire passer quelques années caché dans un bar, avant de se décider à le donner au musée.

 

Vraie ou fausse, cette histoire vaut bien le déplacement, et comme nous dit notre jeune guide, maintenant, près de mille personnes doivent être au courant, et peut-être verrons-nous un jour une police spéciale surgir ici. Mais rassurez-vous, ces photos ont été prises avec l'assentiment du responsable. Quoi qu'il en soit, franchement, un petit musée comme celui-ci n'est-il pas plus vivant que bien de ses grands modèles ?

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:18

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Avec encore un peu de poussière et de cailloux, nous arrivons à Goose Bay, mais le bout de la route se trouve à une quarantaine de kilomètres, au confluent du grand Lac et du lac Melville, et nous y attend. Deux communautés autochtones s'en partagent les bords : North West River, sur la rive nord, la rive sud étant occupée par Sheshatsiu,

 

Petite précision géographique, le terme "lac" correspond très souvent à un réservoir gonflé des eaux de plusieurs rivières, et lui-même peut mener à la mer. Donc, le Grand Lac reçoit les eaux de la Rivière des Castors, ce qui n'étonnera personne, mais également de la Rivière du Vin rouge. Je n'ai que ma surprise à fournir à cette étrange appellation. Au bout de 40 km le grand Lac se jette dans le lac Melville, également réceptacle du Lac de la Boue et de la Baie de l'Oie, et 100 km plus loin, il finit par l'Hamilton Inlet, qui est lui-même une avancée d'une quinzaine de km de l'Océan Atlantique dans les terres.

 

Mais reprenons pied en terre ferme. Le paysage change. Nous sommes en communauté autochtone, les enfants viennent nous parler, en un anglais mutuellement mal compris, les adultes nous saluent gentiment. Il y a une assez longue plage, et un débarcadère où tout le monde peut accéder sans difficultés. Nous verrons même sur la plage qui est propre, des poubelles, toutes aux couleurs du Labrador, et frappées de l'épinette, son arbre symbolique. Nous avons changé de monde.

 

L'habitat est constitué de maisons individuelles, qui, malgré l'organisation des rues, prennent une disposition quelque peu dispersée, ce qui tend encore à ouvrir l'espace. Elles sont de type classique pour la région, et bien entretenues. Mais bien souvent, les constructions secondaires, dans les jardins, sont d'anciennes baraques militaires en tôle, ou des faisceaux de légers troncs dessinant le fameux double cône typique des images de western. Ces structures servent d'abri à multiples usages, mais aussi, elles gardent cette forme pour le seul entassement du bois. Canoës et traîneaux complètent le panorama, et je découvre aussi un piège à ours "fait maison" dont le corps est un tronçon d'une de ces énormes buses qui soulagent les routes de la pression des eaux.

 

Le parking du Centre d'Interprétation nous accueille pour la nuit. Un sentier en part et offre une belle occasion d'entrer dans le bois. Il serait dommage de s'en priver. Donc, une heure et quelques milliers de moustiques plus loin, nous approchons de la notion, sinon de l'infini, mais des raisons pour lesquelles le Labrador est surnommé "le grand Pays". J'imagine que nous pourrions continuer ainsi pour des mois et quelques millions de moustiques, si nos forces et quelques mètres de neige nous en laissaient la possibilité. Car ici, l'été ne dure guère plus de trois mois, et sur les montagnes au-delà de la baie, de grandes plaques blanches n'ont guère l'intention de disparaître. Donc le sentier continue sa vie, quelque part en direction du nord.

Le lendemain, nous ne manquons pas de découvrir le Centre d'Interprétation. Qui attendrait un musée dans sa forme habituelle serait déçu. Mais il ne faut jamais négliger ces bâtiments qui posent le souvenir de civilisations en voie d'intense transformation. Une fois de plus, l'accueil est très agréable. Une exposition d'une artiste locale, Shirley Moorhouse, nous offre sa vision des aurores boréales. Elle utilise pour cela divers tissus, dont un à fines mailles, doublé, piqué de perles de couleurs, et orné de formes de la mythologie locale. Nous voyageons dans les draperies du ciel.

 

La grande salle mêle agréablement un résumé de l'histoire locale, d'autres œuvres contemporaines autochtones, des souvenirs d'un mode de vie, qui, en quelques générations, a fait passer ces peuples d'une sorte d'âge du caribou, à celui du skidoo. Quoi qu'on en pense, les faits sont là, et cet écart fulgurant ne doit pas être facile à vivre. Témoin, cet homme, encore bien vivant qui fut un aide-shaman, et qui raconte comment la tente qui tremble, offerte aux vents et aux maîtres-animaux, permettait aux shamans, aujourd'hui disparus, d'orienter les chasseurs vers les territoires de bonnes proies, ou de retrouver des amis perdus dans la tempêtes.

 

Témoins aussi ces artistes sculpteurs, pris du devoir de confier à la pierre leur vision du monde. Ainsi une œuvre qui force l'admiration de Gilbert Hay de la communauté de Nain. Plus loin, Lisa Learning, artiste Metis de Goose Bay, présente une peinture remarquable d'un paysage de glace sur lequel fond l'or du soleil. Enfin, un extraordinaire triptyque d'environ 5 mètres de long sur plus d'un mètre de haut, entièrement dessiné à l'encre sur papier, nous révèle comment Boyd Chubbs, de l'Anse-au-Clair, nous signifie qu'"un paysage nous écoute". Par la modestie des moyens et l'ampleur de sa vision, je plonge en ce chef d'œuvre. Voilà un maître du dessin, un homme fier de son passé et de sa terre sacrée, le Labrador. Une leçon à ne pas perdre.

 

Petite remarque au passage, dans ce pays officiellement bilingue, culturellement multilingue, les explications sont en anglais, en innuktitut, en innu-aimun sheshatsiu, en innu-aimun natuashish, mais pas en français. Outre mon appréciation pour ce remarquable outil de mémoire et de pensée, devinez ce que j'ai inscrit comme autre commentaire.

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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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