Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:18

encre-papier.jpg

 

 

Avec encore un peu de poussière et de cailloux, nous arrivons à Goose Bay, mais le bout de la route se trouve à une quarantaine de kilomètres, au confluent du grand Lac et du lac Melville, et nous y attend. Deux communautés autochtones s'en partagent les bords : North West River, sur la rive nord, la rive sud étant occupée par Sheshatsiu,

 

Petite précision géographique, le terme "lac" correspond très souvent à un réservoir gonflé des eaux de plusieurs rivières, et lui-même peut mener à la mer. Donc, le Grand Lac reçoit les eaux de la Rivière des Castors, ce qui n'étonnera personne, mais également de la Rivière du Vin rouge. Je n'ai que ma surprise à fournir à cette étrange appellation. Au bout de 40 km le grand Lac se jette dans le lac Melville, également réceptacle du Lac de la Boue et de la Baie de l'Oie, et 100 km plus loin, il finit par l'Hamilton Inlet, qui est lui-même une avancée d'une quinzaine de km de l'Océan Atlantique dans les terres.

 

Mais reprenons pied en terre ferme. Le paysage change. Nous sommes en communauté autochtone, les enfants viennent nous parler, en un anglais mutuellement mal compris, les adultes nous saluent gentiment. Il y a une assez longue plage, et un débarcadère où tout le monde peut accéder sans difficultés. Nous verrons même sur la plage qui est propre, des poubelles, toutes aux couleurs du Labrador, et frappées de l'épinette, son arbre symbolique. Nous avons changé de monde.

 

L'habitat est constitué de maisons individuelles, qui, malgré l'organisation des rues, prennent une disposition quelque peu dispersée, ce qui tend encore à ouvrir l'espace. Elles sont de type classique pour la région, et bien entretenues. Mais bien souvent, les constructions secondaires, dans les jardins, sont d'anciennes baraques militaires en tôle, ou des faisceaux de légers troncs dessinant le fameux double cône typique des images de western. Ces structures servent d'abri à multiples usages, mais aussi, elles gardent cette forme pour le seul entassement du bois. Canoës et traîneaux complètent le panorama, et je découvre aussi un piège à ours "fait maison" dont le corps est un tronçon d'une de ces énormes buses qui soulagent les routes de la pression des eaux.

 

Le parking du Centre d'Interprétation nous accueille pour la nuit. Un sentier en part et offre une belle occasion d'entrer dans le bois. Il serait dommage de s'en priver. Donc, une heure et quelques milliers de moustiques plus loin, nous approchons de la notion, sinon de l'infini, mais des raisons pour lesquelles le Labrador est surnommé "le grand Pays". J'imagine que nous pourrions continuer ainsi pour des mois et quelques millions de moustiques, si nos forces et quelques mètres de neige nous en laissaient la possibilité. Car ici, l'été ne dure guère plus de trois mois, et sur les montagnes au-delà de la baie, de grandes plaques blanches n'ont guère l'intention de disparaître. Donc le sentier continue sa vie, quelque part en direction du nord.

Le lendemain, nous ne manquons pas de découvrir le Centre d'Interprétation. Qui attendrait un musée dans sa forme habituelle serait déçu. Mais il ne faut jamais négliger ces bâtiments qui posent le souvenir de civilisations en voie d'intense transformation. Une fois de plus, l'accueil est très agréable. Une exposition d'une artiste locale, Shirley Moorhouse, nous offre sa vision des aurores boréales. Elle utilise pour cela divers tissus, dont un à fines mailles, doublé, piqué de perles de couleurs, et orné de formes de la mythologie locale. Nous voyageons dans les draperies du ciel.

 

La grande salle mêle agréablement un résumé de l'histoire locale, d'autres œuvres contemporaines autochtones, des souvenirs d'un mode de vie, qui, en quelques générations, a fait passer ces peuples d'une sorte d'âge du caribou, à celui du skidoo. Quoi qu'on en pense, les faits sont là, et cet écart fulgurant ne doit pas être facile à vivre. Témoin, cet homme, encore bien vivant qui fut un aide-shaman, et qui raconte comment la tente qui tremble, offerte aux vents et aux maîtres-animaux, permettait aux shamans, aujourd'hui disparus, d'orienter les chasseurs vers les territoires de bonnes proies, ou de retrouver des amis perdus dans la tempêtes.

 

Témoins aussi ces artistes sculpteurs, pris du devoir de confier à la pierre leur vision du monde. Ainsi une œuvre qui force l'admiration de Gilbert Hay de la communauté de Nain. Plus loin, Lisa Learning, artiste Metis de Goose Bay, présente une peinture remarquable d'un paysage de glace sur lequel fond l'or du soleil. Enfin, un extraordinaire triptyque d'environ 5 mètres de long sur plus d'un mètre de haut, entièrement dessiné à l'encre sur papier, nous révèle comment Boyd Chubbs, de l'Anse-au-Clair, nous signifie qu'"un paysage nous écoute". Par la modestie des moyens et l'ampleur de sa vision, je plonge en ce chef d'œuvre. Voilà un maître du dessin, un homme fier de son passé et de sa terre sacrée, le Labrador. Une leçon à ne pas perdre.

 

Petite remarque au passage, dans ce pays officiellement bilingue, culturellement multilingue, les explications sont en anglais, en innuktitut, en innu-aimun sheshatsiu, en innu-aimun natuashish, mais pas en français. Outre mon appréciation pour ce remarquable outil de mémoire et de pensée, devinez ce que j'ai inscrit comme autre commentaire.

Partager cet article
Repost0

commentaires

1
<br /> j'imagine le commentaire ! Très agréable carte-postale. J'aimerais en recevoir d'aussi belles de mes amis. J'admire ! Chaque jour un billet ! Quelle constance ! Quelle opinîatreté !<br /> <br /> <br />
Répondre

Profil

  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
  • la littérature en partage L'homme avant les termites L'idéal sans l'idéologie

Recherche