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18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 15:32

 


LORETTA.jpg

 

Fletcher nous avait relaté que la route devenait meilleure après Labrador City, que le plus dur était fait. Comme il parle à beaucoup de monde, nulle raison de ne pas le croire, d'autant que la sortie de la ville nous lance sur une belle route goudronnée, lisse comme un billard, mais mon côté soupçonneux se dévoilant peut-être je ne remarque aucune signalisation horizontale. Quelques kilomètres après, mes soupçons deviennent des certitudes : non seulement le goudron disparaît, mais les portions de route qui nous attendent sont pires que précédemment. 

 

Tôle ondulée, nids-de-poules, rides obliques, rochers affleurant et autres plaisanteries se donnent le mot pour nous secouer. Si l'image de panier à salade vient à l'esprit, il faudrait la faire suivre d'un bon rinçage, car les feuilles seraient alors bien poussiéreuses. Les chantiers de construction se font suite les uns les autres, et la piste le mérite bien. Un jour ou l'autre elle deviendra facilement carrossable, mais pas aujourd'hui, ou alors notre carrosse manque de bonnes suspensions. Inutile non plus de vouloir se parler sans hurler. Quant à écouter de la musique, oublions Mozart, et passons directement au rock le plus rocailleux dont quelques décibels pourraient survivre à notre environnement sonore.

 

De temps en temps, tout en restant piste, la qualité de la surface s'améliore, et tout s'apaise, au moins relativement, et pour peu de temps. La sensation est subjective, nous le savons bien, mais il faut parfois rénover nos expériences. Cette route nous en fournit l'occasion.

 

Dire qu'à un moment nous avons vu un embranchement que nous avons failli prendre : il s'agissait d'une vieille piste au début de laquelle un panneau de bois assez artisanal annonçait une la "Northern light lodge" au bout de 280 km. Aurait-ce été pire ? Nous avons laissé à mieux équipés le soin de vérifier. C'est ainsi qu'on se rend compte qu'on vieillit.

 

Les chantiers de construction ont plusieurs caractéristiques. La première, fondamentale, est celle d'exister, ce qui est assez optimiste. Les autres tiennent à la nature et à leur fonctionnement. Dans les cabines bien protégées des énormes engins, les conducteurs paraissent à l'aise, en bras de chemise, assez tranquilles. Par contre, les responsables de la signalisation de début et de fin de chantier, sont agités de mouvements divers, d'une sorte de petite danse, enfin, pas tous, car ceux qui se sont couvert le visage d'une moustiquaire étanche sont plus calmes. Robustes ouvriers et pin-ups de la route sont logés à la même enseigne. Il suffirait d'ouvrir les vitres pour subir le même sort. Il faut dire que nous avons déjà donné. Mouches noires, brûlots, maringouins, moustiques, moucherons, guêpes multiformes chacune avec leurs petites manies, sont de sortie estivale, et elles en profitent.

 

Enfin, Churchill Falls ! La ville est du style que nous connaissons à connaître, mais peu importante. J'imagine que tout le monde ou presque travaille pour la centrale électrique. Peut-être pas la serveuse de la seule station service qui officie avec uns superbe moustiquaire qui prend jusqu'à la taille. Elle n'a pas tort, car le temps de faire le plein de diesel, les bêbêtes font le leur de sang frais.

 

Nous trouvons un coin bien tranquille entre trois ateliers abandonnés, et nous nous préparons à y passer la nuit lorsqu'un garde (il travaille pour la compagnie électrique) vient poliment nous inciter à rejoindre un point de rendez-vous plus central, où nous ne risquerons rien (que risquerions-nous ?) et où des plots électriques, des aménagements fonctionnels seront à notre disposition.

 

Nous nous y rendons la nuit tombée, pour trouver divers camions de toutes tailles, et... le pick-up bien reconnaissable de Fletcher. La nuit est calme, et effectivement c'est toute la partie commune du bâtiment municipal qui est à notre disposition. C'est grandiose.

 

Churchill Falls, une énorme centrale électrique, vais-je parler des chutes ? Eh bien non, car il y a mieux que les chutes à Churchill Falls. Il y a... Loretta, la bibliothécaire, mieux, l'ange de la bibliothèque. Explication : normalement le réseau des bibliothèques publiques de Terre-Neuve et du Labrador fournissent un accès wi-fi gratuit à Internet. Or l'année passée, malgré tous mes efforts, malgré les essais de différents bibliothécaires, du service support de St-Johns, et d'autres, cet accès m'avait été refusé par un avertissement têtu du système central. Personne n'y pouvait rien, et nous avons perdu des heures et des heures à trouver des dépannages de fortune.

 

Or Loretta prend les choses en main. D'abord, elle ne met pas en doute ce que je lui explique. Ensuite, elle vérifie, et téléphone à son service support. C'est un geek dit-elle, traduction, un sorcier. C'est alors que je sens passer les bonnes ondes du sorcier. Il s'attaque au problème, farfouille dans le labyrinthe de son électronique, doit court-circuiter le phénomène responsable du blocage, ou le faire sauter, et ouvre un nouveau circuit où mon adresse IP n'est pas diabolisée par un mauvais sort. Et ça marche. J'embrasse l'ange Loretta, tandis que le sorcier disparaît dans un nuage.

 

Alors, voici la clef du mystère pour les obsédés du wi-fi qui voudraient utiliser le réseau des bibliothèques publiques de Terre-Neuve et du Labrador : NE PAS UTILISER L'OPTION "FRANÇAIS", QUI VERROUILLE L'ACCÈS PAR VOTRE ORDINATEUR, QUEL QUE SOIT LE SERVEUR DE MESSAGERIE QUE VOUS UTILISEREZ PAR LA SUITE. ENTRER DANS LE RÉSEAU EN ANGLAIS.

 

Il fallait le savoir, il aurait fallu que les premiers intervenants l'aient su, et il fallait qu'un bon sorcier se penche sur mon mauvais sort pour m'en débarrasser.

 

Vous pourriez me demander pourquoi il existe une option "français". Peut-être pour piéger les grenouilles répondrait un anglophone francophobe. Ou alors, un mystère informatique de plus. Les spécialistes apprécieront.

Mais n'ai-je pas eu raison d'affirmer qu'à Churchill Falls il y avait mieux que les chûtes ? Il y a Loretta. Mais elle prendra sa retraite l'an prochain. Hâtez-vous de demander son aide en cas de besoin, car, pétulante comme elle est, elle affirme qu' "elle n'abandonne jamais". Et je la crois.

 

Mais un qui décide de renoncer au retour par voie de terre, c'est Fletcher. Malgré sa gymnastique matinale sous le camion (on n'est jamais trop prudent) il décide de prendre le traversier pour revenir. La portion de route l'a un peu trop secoué. Cela se comprend. Je lui demande cependant si son annonce d'hier n'était pas une de ses plaisanteries dont il émaille ses discours. Il ne répond pas vraiment. Nous nous disons au-revoir, et à bientôt sur la route, peut-être.

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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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