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16 novembre 2011 3 16 /11 /novembre /2011 07:25

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Je prends connaissance, par un ami, de la traduction française d’un article de Nicolas Carr paru dans la revue The Atlantic, de juin 2008. Cette version date de décembre 2009, et ces renseignements préparatoires, apparemment superflus, nous permettent d’entrer de plain-pied dans le débat ouvert par Carr, qui expose ses craintes d’être – osons le mot – décérébré par internet.

 

Si ma synthèse semble trop rapide, je cite quelques-unes de ses phrases : « Ces dernières années, j’ai eu la désagréable impression que quelqu’un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Mon esprit ne disparaît pas, je n’irai pas jusque là, mais il est en train de changer. »

 

Ces lignes peuvent se lire, à volonté, soit comme le début d’une nouvelle de science-fiction, soit comme un discours appréciable par un psychiatre. Grande angoisse, comme le pose Carr soi-même ? Ou diagnostic plus grave, de la famille de la psychose ?

 

Sur le fond, l’article est chapeauté et finalisé par les scènes de 2001, odyssée de l’espace, où l’ordinateur HAL, pour avoir tenté de prendre le contrôle de l'engin spatial, est débranché par le dernier astronaute. Entre les deux, Carr évoque diverses étapes de la connaissance humaine, depuis l’usage de l’écriture, jusqu’aux discours ultra-scientistes de Sergey Brin et Larry Page, les inventeurs de Google. Ces deux jeunes gens – un peu de patience, futures vieilles barbes – posent en principe cette belle déclaration : « Il est certain que si vous aviez toutes les informations du monde directement fixées à votre cerveau ou une intelligence artificielle qui serait plus intelligente que votre cerveau, vous vous en porteriez mieux. »

 

En quelques lignes, assorties de quelques belles images archi-connues, Carr fait ressurgir les craintes éternelles de l’homme devant toute nouvelle technique, craintes contre lesquelles ni l’intelligence ni la culture ne peuvent prémunir les personnes qui en souffrent.

 

Dans le cas particulier, en effet, ni la culture de l’auteur ni son raisonnement, ni même la validité de son témoignage concernant sa progressive perte de concentration ne peuvent être mis en doute. L’article paraît donc convainquant.

 

Mais quelque chose cloche. La réponse, comme toujours, est devant nous. Il suffit de nous forcer à dessiller nos propres yeux.

 

 

QUI SONT LES ACTEURS ?

 

 

En premier lieu, son raisonnement intriquant internet et Google – ce qui peut paraître anodin à première vue – fausse totalement l’ensemble. En effet, si internet tend à devenir la grande bibliothèque dont ont rêvé les scientifiques et lettrés de tous les âges, il ne faut ni oublier, ni confondre, les autres acteurs, sans lesquels une bibliothèque ne peut pas vivre : les archivistes, bibliothécaires, et autres employés de service. Ceux-là sont assimilables à la fonction « moteur de recherche » dont Google est l’exemple cité dans cet article. Remarquons au passage la publicité « en creux » faite à Google, aux dépens des autres moteurs de recherche. Mais cela est une autre histoire.

 

Pour étayer le raisonnement, imaginons-nous dans plus grande bibliothèque du monde, sans guide, sans repères, sans moteur de recherche. Que pourrions-nous faire, pour peu que nous souhaitions étudier un sujet précis ? Rien, sinon compter sur la chance, chercher la fameuse aiguille dans la botte de foin, sans le moindre aimant, sans lunettes, et dans le noir.

 

Mais, à l’opposé, la question est de savoir si le bibliothécaire est devenu fou, hyperactif, comme l’apprenti sorcier du célèbre conte, traité avec quelle maestria par les images de Walt Disney et la musique de Paul Dukas, s’il nous bombarde de livres, de documents jusqu’à nous y noyer... pour notre bonheur de chercheur, bien entendu. Cette remarque nous amène vers toutes les pensées dictatoriales qui se parent du bonheur imposé. Les exemples ne manquent pas.

 

En ce sens l’article de Carr semble correspondre à la réalité de Google, sauf... sauf... qu’il néglige une quantité d’autres acteurs : les rats.

 

 

LES RATS DE BIBLIOTHÈQUE

 

 

Ah oui ! Les fameux rats de bibliothèque direz-vous ! Mais n’est-ce pas le surnom de ces obstinés, de lecteurs impénitents ? Ne venez-vous point d’en parler ? Vous répéteriez-vous ?

 

Que nenni, cher lecteur de ce blog. Les rats d’internet, de Google et de combien de sites dits gratuits, ce sont les passe-murailles cliquetants, les envahisseurs explosifs, les annonces de loteries fallacieuses, les kidnappeurs de cervelles, les incrustations obligatoires d’avant les vidéos, les masques d’écrans, et toutes autres inventions par lesquelles le Big Brother de la pub vole votre temps, viole votre conscience, barbouille vos neurones de sa bouillie vomitive, vous inonde de propositions galantes, et reprend vos traces de pub en pub pour peu que vous ayez cherché un renseignement sur le moindre objet d’intérêt marchand.

 

S’il y a un danger de décervelage sur internet, ce n’est pas internet en soi, ni Google, mais le viol de l’image par des pirates apparemment légaux. Pour mieux se rendre compte de ce qui vous attend réellement lorsque vous passez un contrat avec un fournisseur d’accès à Internet, pour explorer la grande bibliothèque, essayez de sortir du cadre. Imaginez que vous achetiez une voiture pour découvrir le monde, et que tous les kilomètres, celle-ci hoquète en vous vantant les mérites des pneus untel, du bitume duschmoll, que son klaxon lance spontanément dix mesures de la dernière chanson à la mode, que l’allumage des veilleuses projette sur tous les murs un message pour vendeurs de recettes amaigrissantes et autres fadaises.

 

Qui le supporterait ?

 

Qui ne retournerait chez le vendeur pour lui rendre sa casserole ?

 

La suite, prochainement sur ce blog, ainsi que sur celui de Lettropolis.

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  • Pierre-François GHISONI
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