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8 décembre 2009 2 08 /12 /décembre /2009 22:21


La portativité du livre, comme celle de la peinture de chevalet, a beaucoup contribué au culte nouveau de l'individualisme.

 

Marshal Mc Luhan

La Galaxie Gutenberg

Mame 1967

 

Cette phrase, extraite de son contexte, frapperait quiconque par son aplomb faussé, plus que par l'insonance de cette portativité si mal traduite. Elle irriterait d'autant plus qu'elle plaque côte à côte les fonctions d'émission et de réception bien spécifiques et bien différentes que sont celles d'un tableau et celle d'un livre, et qu'elle lance au hasard de l'espace une idée apparemment bien vite, trop vite cuite pour ne pas être indigeste. Elle serait alors la rançon de la forme de son livre, constitué de chapitres courts chapeautés de titres appelant la discussion et la trop rapide réponse.

 

C'est peut-être là le piège majuscule du monument qu'est La Galaxie Gutenberg. À tant parcelliser son texte, l'auteur pousse le lecteur à une lecture en mosaïque. Mais pour qui est ce piège? Quel est son but? Est-ce celui d'un tacticien dépassé par sa tactique, ou celui d'un stratège inventif, déroutant le lecteur pour le mener « mosaïquement » à la démonstration infusée au fil des pages: l'imprimé, par son mécanisme hypervisuel répétitif hypertrophie l'inconscient collectif d'où émergeront en contrepartie des individualismes clonés à l'égo flasque vaniteux et agressif.

 

 

Revenons donc à cet article où Mc Luhan passe en revue la désinstitutionnalisation de la peinture, la fin du monopole des bibliothèques, la forme codex des premiers livres chrétiens opposée aux rouleaux païens, pour aboutir, en contrepoint de son affirmation première, à la création de marchés de lecteurs, aux nécessités ou prétextes capitalistes des premiers imprimeurs faisant les livres que le public souhaite, et à l'apparition d'une civilisation de masse et d'une standardisation. Mais quid de ce culte nouveau de l'individualisme?

 

Individualisme... Comment entendre ce mot? Et comment le relier à la facilité d'usage du livre ou du chevalet? L'un quelconque de ces porteurs de livre ou de tableau s'est-il échappé de la foule, profitant de son léger bagage pour courir plus vite? Ou faut-il comprendre qu'utilisant cette manne nouvelle de connaissances, une tendance individualiste se soit développée chez certains réfractaires à la standardisation?

 

L'image pourrait être plaisante, car elle véhiculerait une forme d'espoir, mais...

 

Il serait vain de nier que la multiplication d'un outil quelconque (le livre en est un) impose moyens de production accrus et relative standardisation. La force et la formes des poings étant incluses dans certaines limites, même l'homme du néolithique a dû y adapter ses haches et autres couteaux. La standardisation s'imposait déjà comme elle continue à le faire pour toute pratique et tout usage, condition nécessaire pour ouvrir la voie à une civilisation. Quant aux capitaux mis en jeu, parlons plutôt de moyens adéquats: pouvoir, force, puissance, autorité, dont la traduction la plus répandue est financière, ce qui vaut peut-être mieux que l'emploi de milliers d'esclaves pour ériger des pyramides. Encore que...

 

Ce que je n'aurais pas aimé pas dans l'affirmation de Mc Luhan, aurait été l'oubli de l'homme derrière cet écran facile de standardisation. Oubli de l'homme dans ses deux dimensions, la grégaire et la prométhéenne. Certes, la massification et la standardisation cultivent les graines du grégarisme qui ne demandaient qu'à pousser. Cela n'est pas grave, puisque c'est une des conditions de la survie de l'espèce, tout au moins du groupe pour lequel nous avons (théoriquement) le plus de libido: le nôtre. Ce qui est grave, c'est l'entretien systématique du faux-semblant, de l'illusoire individualité des lecteurs obligatoires du dernier prix Goncourt, ou, à l'autre bout de l'échelle, du canard boiteux censé les faire passer pour des esprits supérieurs.

 

Certes, Mac Luhan appuie son raisonnement sur les écrits de visionnaires, hommes à l'imagination indemne de toute hypertrophie visuelle (Pope, Blake, Milton etc.). Un espoir peut en naître. D'autres Pope, d'autres Milton, d'autres Blake se lèveront peut-être aux confins du monde informatique successeur de la Galaxie Gutenberg.

 

Mais faut-il vraiment y croire? Car, ce qui est encore plus grave, c'est de ne pas comprendre que la massification poussée puisse atteindre une masse critique, à partir de laquelle une implosion cérébrale se déclenche, plus dangereuse que les champignons qui ont fleuri sur certaines villes japonaises. Alors, ce magma humain, trop humain, étouffera le peu d'hommes qui, si prométhéen soient-il, n'en nécessiteront pas moins leur part d'espace et de liberté.

 

Nous n'aurons garde d'oublier la leçon des vieux rabbins, qui portaient bien en vue leur livre de prières, pour que les illettrés de l'époque puissent croire qu'ils risquaient de les oublier. Il reste donc, encore, la nécessité de poursuivre, au-delà du livre, dans ce nouvel espace qu'est Internet, l'éternel conflit du monstre et de l'homme. L'OLNI y prendra sa place.

 

 

 

 

 

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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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