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13 juillet 2009 1 13 /07 /juillet /2009 16:46

Le témoignage de Nell Barrow Cowan
sœur de Clyde Barrow.
The true story of Bonnie and Clyde
Signet Book. New York 1968

Traduction Pierre-François Ghisoni


"Mais qu'as tu ressenti, Clyde? Je voulais savoir. Comment étais-tu, après avoir tué un autre homme?

Comme toujours – malade en dedans – malade et glacé, et faible – avec comme un souhait fade de n'être jamais né. Tu vois, sœurette, c'est dur à te faire comprendre, parce que tu ne l'as jamais vu en face. Mais ça vient si vite, et ça se passe en un instant – tu es là et ils sont là – ils ont des flingues et tu as un flingue – tu sais que ça va être toi ou eux, et il n'y a pas le temps de penser à rien d'autre. Tu serres les dents, et tu y vas – et eux aussi, sauf si tu es plus rapide. Sinon, le lendemain, c'est eux qui raconteront l'histoire, et pas toi. Alors c'est joué, terminé, il n'y a pas de marche arrière – tu as tué un homme – tu le vois étendu là, au grand jour, et tu prends le temps de regarder. La vie est partie – tu l'as prise – il ne vivra plus, il ne respirera plus, il ne rira plus. Mais s'il avait été plus rapide, tu serais étendu comme ça. Tout s'embrouille – ça ne rime plus à rien – tout ça – eux qui te tuent – toi qui les tue – tu te demandes pourquoi tu es né – pourquoi on est tous nés – pourquoi Dieu devrait s'emmêler dans cette purée. Et tu te sens si désarmé, si incapable de rien y faire – alors tu t'enfuis en courant, et c'est tout.


J'ai essayé de l'écrire comme il me l'a dit, tout à trac, par à-coups, alors  qu'il passait ses mains nerveusement sur son visage, en même temps qu'il parlait. Je pensais que cela pourrait intéresser des gens de savoir ce qu'il ressentait après avoir tué un homme. Cela m'intéressait moi, parce que je sais que si quelqu'un d'autre que moi l'avait demandé à Clyde, il aurait dit: "P... c'était eux ou moi – à part être heureux d'avoir sauvé ma peau, qu'est-ce que je pourrais bien sentir d'autre?". Mais il ne m'aurait jamais parlé comme ça, et j'ai pensé que vous auriez peut-être aimé entendre ses paroles."



Si ce n'est pas un exemple de style fort...!. En quelques mots simples, dans ce rythme haletant, marqué par les tirets cadratins, poser le drame de la mort qui passe en un instant et impose son tribut. Céline aurait apprécié cet écrit des tripes posées sur la table. Et moi donc...
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11 juillet 2009 6 11 /07 /juillet /2009 17:06

 

Convoqué par les Muses, l'homme pourrait se laisser aller à classer les arts en un concours dont la récompense ne serait que discorde et incertitude. Les filles de Zeus et Mnémosyne n'ont point de leçon à recevoir pour se parer de leurs plus beaux atours, et en appeler au témoignage de leurs hérauts. Nous laisserons à Pâris, en d'autres lieux et pour d'autres satisfactions, la responsabilité d'une telle provocation, si l'envie le reprenait.

 

Mais j'en ose une autre, portant un autre regard sur l'écrivain et l'architecte. Car le papier et la pierre construisent l'homme pour autant que l'homme les marque de son génie, cet art profond de soi-même frotté à l'infini de la nature.

 

L'écrivain et l'architecte portent en eux le dépassement obligatoire des besoins fondamentaux de l'humanité que sont la transmission et l'abri. Ils ne peuvent se laisser aller à l'éphémère de "l'art pour l'art". Quel que soit l'ordre de leurs priorités, cette obligation de bâtir un abri, d'y poser un toit, de porter à la connaissance de l'autre ses réussites et ses espoirs, ses échecs, ses alliances et ses combats, de s'adresser à l'incommensurable comme à l'ombre qui passe, est l'apanage de ces alliés étonnants de la pierre et du papier.

 

Ainsi réunis, ces démiurges osent poser les lois de la cité, cité des hommes, cité des Dieux, parfois réduites en normes pratiques, parfois lancées en un délire mystique. Ils ne peuvent, ils ne doivent pas se limiter à hanter les catacombes des mystères interdits. Ils doivent oser la lumière, déchirer les ténèbres, chercher d'autres flambeaux, et le poser fièrement devant leurs œuvres.

 

Alors, malheur à qui brouillonne ce devoir des hommes! Malheur au peuple qui refuse cette cristallisation de soi-même, ce devoir de grandeur éternellement relancé! Malheur à qui, empruntant ces chemins de vie, maudit ses prédécesseurs et se vautre dans le désordre de la mort grouillante.

 

 

 

 

 

 

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9 juillet 2009 4 09 /07 /juillet /2009 16:00

                      

C'est la fin d'un dimanche de pluie tenace.
Les pommiers gris s'épanchent vers la terre qui somnole
Doucement caressée de serpentes rigoles
Où s'étire à l'envie la paresse des limaces.

Le ciel obstiné roule son pesant de nuées.
Si longue est cette houle, sans cesse ressuscitée,
Qu'un champ clos minuscule se pique d'immensité,
Quand sur ses barrières saute cette étrange ruée.

Dans l'ombre d'un vallon, un cheval nous observe.
Il est fort, d'une force blanche, ronde et tranquille,
Sans le moindre tressaillement, tout immobile,
Comme il sied aux lignées qui jamais ne furent serves.

Son pelage est marqué d'une volée de charbon.
N'y voyons point diablerie mais beau cousinage:
Palominos, pies indiens, et mustangs sauvages
Se vantent de leurs nerfs, mais n'ont point cet applomb.

Il offre son profil comme médite un sage.
Il est tant de sujets qui veulent attention:
Une pousse d'herbe tendre, le fil haute tension,
Mais tout cela n'est rien, il est d'autres messages.

Je vous l'ai déjà dit, ce cheval est bien libre:
Ayant offert au vent son galop le plus fier,
Il parcourt notre monde de son allure altière,
Et nul précipice ne menace son équilibre.

Comme il ne bouge point, pas même d'un sabot,
Le monde tient à ses pieds, délaissé par Atlas.
La catastrophe serait qu'il changeât de place.
Mais notre animal se tient bien et se tient beau.

Comme il accueille la pluie, son coeur n'est point sec.
Trop d'humains engoncés, aux figures cartonnées,
Parce que trois gouttes leur tombent sur le nez,
Feraient mieux d'ouvrir les yeux et fermer le bec.

Ce cheval ne craint pas l'éclair et sa flamme.
Ce mystère dépasse notre esprit et le confond.
Tant d'hommes qui se croient fort, n'auront jamais, au fond,
Rapportée au cheval, que petitesse d'âme. 

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8 juillet 2009 3 08 /07 /juillet /2009 17:27

DANS TOUTE LANGUE EXISTENT LE GRAND STYLE ET TOUS LES NIVEAUX INTERMÉDIAIRES JUSQU’AU PIRE TRIVIAL

Maîtriser une langue nécessiterait de faire des incursions dans tous les recoins de ses étages, et d’adapter le terme le plus précis à la fonction souhaitée dans la situation donnée. La tâche est redoutablement ardue, quasi-impossible.

Le mélange des genres est très difficile à manier et théoriquement non souhaitable. Ainsi, n’imaginerait-on pas un Président de la République s’adresser à un quidam : « Casse-toi pauvre c… ». Un écrivain est mieux loti. Il pourrait mettre cette réplique en situation dans une œuvre, et pire encore, sans enfreindre la règle de vraisemblance. Remplacerait-il cette réplique par un sonnet sans défaut, qu’il n’aboutirait qu’à un effet comique ou déplacé.

Une belle œuvre littéraire est grosse de nombreux courants qui se conjuguent et s’harmonisent (au mieux) ou emportent le lecteur vers d’autres tourbillons. C’est pourquoi il faudrait savoir accepter une contribution, si hétérogène fût-elle, qui nous porterait vers une grandeur inattendue, d'où surgirait une beauté nouvelle.

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7 juillet 2009 2 07 /07 /juillet /2009 14:34


Derrière cet arbre dont l'écorce s'effeuille comme pages données au temps, veille encore la silhouette d'une bibliothécaire décédée.

Poursuivre et donner au vent...

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6 juillet 2009 1 06 /07 /juillet /2009 18:06


 

Il semblerait que nous ne puissions exister sans un nom. Cette genèse qui nous colle à la peau donne un sens aux destins. À moins que l'histoire ne soit trop belle, que le portrait final n'ait été épuré de quelques traits déroutants. Que serait devenue la tradition si Adam, le terreux, le boueux, aussitôt né, avait été plongé en un merveilleux fleuve, lavé de presque toute poussière? Peut-être l'ancêtre direct d'Achille, et de tous les "pris au pied" héritiers de cette faille d'âme que la symbolique nous enseigne par les défauts corporels de certaines grandes figures.

 

Mais en admettant que nous naissions à l'action par notre nom, il nous faut alors repenser la première image des caractères inscrits sur notre carte d'identité. Si elle n'est pas prégnante, ou si nous souhaitons infléchir notre parcours, le vaste monde du sens nous est ouvert. Reste à y marquer notre trace, et généralement, nous souhaitons ouvrir la route à certains initiés.

 

L'artiste et le terroriste partagent cette terrible responsabilité de s'imposer une nouvelle identité qui soit autant "faux-vrai" que "vrai-faux". Que se passe-t-il si cette identité devient "vrai-vrai" ou "faux-faux"? Ce peut être le succès de Shakespeare, ou l'échec de l'incendiaire de la bibliothèque d'Alexandrie.

 

À chacun de choisir suffisamment d'indices pour donner épaisseur, force, direction et sens à la mise en scène de ce nouvel acteur.

 

Il n'existe pas de pseudonyme, seulement une apparence limitée, choisie dans une fidélité de personnes, d'action et de lieu, alliant le symbolique et le réel.

 

En poussant le raisonnement à son but, nous apprendrions que le pseudonyme le plus riche serait l'anonymat.

 

En aurions-nous le courage ou la folie?

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6 juillet 2009 1 06 /07 /juillet /2009 14:44
Ce n'est qu'un petit phare
Sur son promontoire,
Qui écorne les voiles de la brume.
A son pied, le chien Spot nous attend
Sous une pierre
Qui marque la fin de sa veille.
Le fanal aveugle la mémoire.
Mais quelle étrange impression persiste
Alors que personne ne survient.
Est-ce l'esprit d'un gardien, d'un marin,
Ou le mien?


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2 juillet 2009 4 02 /07 /juillet /2009 21:05

La mer, tout en bas, apaisée pour la nuit,

Epousait une traînée de lune.

Les étoiles vivaient en leur mystère;

Quelques-unes mouraient peut-être.

Ici, pour un temps, la falaise résistait

Au charme troublant de l'abandon,

Et la petite fiancée du vide

Hésitait au seuil des noces.

Un pin solitaire avait grandi tout près.

Leurs confidences chuchotées au vent

Scellaient depuis longtemps la tendresse

De leur amour nostalgique.

Souvent, le soir, un vieil homme venait rêver.

Son coeur simple sentait venir le temps

Où la sérénité est vertu

Après les tourments passés.

Tirant quelques bouffées de son vieux cigare

Il aimait à deviner au loin

Les lueurs venues du pays natal

Si proche, pourtant si lointain.

Sûrement là-bas, dans l'odeur des jasmins,

La nuit complice nouait des destins

Et les palmiers pourraient raconter...

Mais il ne regrettait rien.

Et, doucement, renversé, les yeux mi-clos,

Demi-dieu entre le ciel et l'eau,

Il arrachait du phare d'Alicante

Des parcelles d'éternité.

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2 juillet 2009 4 02 /07 /juillet /2009 20:45

Né à... né sur...

 

Lecteur attentif, tu auras remarqué que ma définition d'OLNI parlait de cet étrange objet du désir littéraire né à ou né sur Internet. Erreur? Relâchement? Que non! Car les deux approches se complètent sans se superposer. « Naître à » introduit l'idée d'une gestation attendue, d'un souhait mûri, d'une vision féminine de l'œuvre. Alors, « né sur » se comprend bien mieux dans l'instantanéité masculine, dans l'émergence bouillonnante.

 

Complétude, que me veux-tu?

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2 juillet 2009 4 02 /07 /juillet /2009 19:48

La Princesse de Clèves.

Ou :

dis-moi ce qu'il hait lire et je te dirai qui ne pas élire.


 

Faut-il vraiment être un examinateur sadique pour interroger un candidat à l'ENA sur le roman de Madame de la Fayette: « la Princesse de Clèves »?

 

La réponse est clairement positive pour qui considère que ce roman sort des oubliettes de l'histoire, enveloppé d'un nuage de poussière et d'un fatras de préciosité littéraire dépassée.

 

Mais qu'adviendrait-il si un personnage d'importance, un chef d'État, s'en tenait à ce regard incomplet, à cette appréciation lapidaire?

 

Il aurait manqué de comprendre tout qui se joue dans ce livre: le mécanisme de questions à-demi formulées, la recherche du renseignement adéquat, la perception du vrai sens d'un discours de convenance, la confiance que l'on peut accorder à tel ou tel personnage, à partir d'indices soigneusement critiqués au filtre d'une intelligence sociale attentive au moindre sourire, à la plus fugace hésitation. Il aurait manqué l'escalade de conséquences inattendues que provoque un faux pas, une démarche téméraire, une déclaration inappropriée. Bref, il aurait manqué la mise en forme d'un jeu diplomatique dont les règles n'ont pas subi autant de modifications que pourrait le croire le premier quidam venu.

 

Il aurait également manqué cette longue dissertation sur le conflit entre la passion et le devoir, cette prise en tenaille de la raison et du sentiment, du corps et de l'esprit, ce malaise que chacun positionne à son échelle, selon ses propres critères, et vit selon ses pauvres forces ou ses belles faiblesses, parfois à en mourir.

 

Il aurait également manqué le substratum logique par lequel l'histoire tout entière se déroule sans monotonie, tout en annonçant le drame inéluctable.

 

La « Princesse de Clèves » n'est pas roman sucré pour collection rose. Bien au contraire, c'est un précis de diplomatie, un manuel de logique, un traité de psychologie, et finalement, un drame profond.

 

Tout bien réfléchi, il serait sadique de lancer un impétrant dans la carrière sans lui fournir l'occasion de méditer cette œuvre.

 

Peut-être n'est-il pas trop tard...

 

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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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