Le témoignage de Nell Barrow Cowan sœur de Clyde Barrow.
The true story of Bonnie and Clyde
Signet Book. New York 1968
Traduction Pierre-François Ghisoni
"Mais qu'as tu ressenti, Clyde? Je voulais savoir. Comment étais-tu, après avoir tué un autre homme?
Comme toujours – malade en dedans – malade et glacé, et faible – avec comme un souhait fade de n'être jamais né. Tu vois, sœurette, c'est dur à te faire comprendre, parce que tu ne l'as jamais vu en face. Mais ça vient si vite, et ça se passe en un instant – tu es là et ils sont là – ils ont des flingues et tu as un flingue – tu sais que ça va être toi ou eux, et il n'y a pas le temps de penser à rien d'autre. Tu serres les dents, et tu y vas – et eux aussi, sauf si tu es plus rapide. Sinon, le lendemain, c'est eux qui raconteront l'histoire, et pas toi. Alors c'est joué, terminé, il n'y a pas de marche arrière – tu as tué un homme – tu le vois étendu là, au grand jour, et tu prends le temps de regarder. La vie est partie – tu l'as prise – il ne vivra plus, il ne respirera plus, il ne rira plus. Mais s'il avait été plus rapide, tu serais étendu comme ça. Tout s'embrouille – ça ne rime plus à rien – tout ça – eux qui te tuent – toi qui les tue – tu te demandes pourquoi tu es né – pourquoi on est tous nés – pourquoi Dieu devrait s'emmêler dans cette purée. Et tu te sens si désarmé, si incapable de rien y faire – alors tu t'enfuis en courant, et c'est tout.
J'ai essayé de l'écrire comme il me l'a dit, tout à trac, par à-coups, alors qu'il passait ses mains nerveusement sur son visage, en même temps qu'il parlait. Je pensais que cela pourrait intéresser des gens de savoir ce qu'il ressentait après avoir tué un homme. Cela m'intéressait moi, parce que je sais que si quelqu'un d'autre que moi l'avait demandé à Clyde, il aurait dit: "P... c'était eux ou moi – à part être heureux d'avoir sauvé ma peau, qu'est-ce que je pourrais bien sentir d'autre?". Mais il ne m'aurait jamais parlé comme ça, et j'ai pensé que vous auriez peut-être aimé entendre ses paroles."
Si ce n'est pas un exemple de style fort...!. En quelques mots simples, dans ce rythme haletant, marqué par les tirets cadratins, poser le drame de la mort qui passe en un instant et impose son tribut. Céline aurait apprécié cet écrit des tripes posées sur la table. Et moi donc...