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29 mai 2010 6 29 /05 /mai /2010 12:52

FAVREAU 1er REP0002

 

Par ce livre, Lieutenant au 1er REP, le général Favreau replonge au cœur de sa jeunesse et de l'Histoire. Si j'osais la formule bien classique, je dirais que c'est un témoignage fondamental. Mais en y réfléchissant bien, tous les témoignages sont fondamentaux. Le témoin s'y livre et l'historien l'étudie, tout aussi fondamentalement l'un que l'autre. Mais la question principale est le regard du lecteur, et spécifiquement du lecteur inconnu.

 

Je n'argumenterai pas sur la classique adresse première aux enfants et petits-enfants de l'auteur, à mon sens illusoire, et même négatrice de l'idée du livre destiné au grand public. Il s'agit au moins, comme le précise immédiatement le général, de l'éthique de l'officier, hier, aujourd'hui et demain. Il s'agit aussi de ne point discourir dans le vide, mais de raconter.

 

Raconter, des décennies plus tard, est un art. L'Historien pourrait reprocher au général Favreau de ne pas avoir pris de notes ni tenu de journal. Il l'avoue tranquillement. Mais la Vie, qui dépasse l'Histoire, y gagne. Oui, raconter est un art, au point que ce livre que d'aucuns, prendront avec des pincettes (s'ils le prennent, car après tout, un militaire... déjà suspect, un ancien légionnaire... d'autant plus suspect, parachutiste... encore plus suspect, ayant servi en Algérie... facteur agravant, au moment du putsh d'Alger... effroyablement suspect, etc.) est le fil conducteur d'un thème qui aurait tenté un dramaturge de la taille de Shakespeare.

 

En effet, voici un jeune garçon dont le père est déjà le glorieux chef d'une troupe réputée. Il passe sa jeunesse dans des garnisons aux noms exotiques, aux parfums lourds, au passé enchanteur, sous la vigilante affection de soldats au cuir tanné, démons repentis aux chants profonds. La guerre saccage les frontières et divise un peuple. L'adolescent découvre, l'adolescent rêve, l'adolescent mûrit, et naît en lui, et jamais ne le quitte une passion de connaissance civilisatrice. Une décision servie par le hasard, un signe diront les autres, un jour qu'interrogé sur son avenir par un ami de son père, il répond hardiment qu'il "fera" Saint-Cyr. Et au même moment, sa main plongeant dans le sable de la plage y trouve un soldat de plomb : un légionnaire.

 

Arrêtons-nous un instant sur cette scène, si bien à-propos qu'elle semble avoir été inventée par quelque écrivain en mal de symbole, qu'elle nécessiterait tout le talent d'un vieux metteur en scène pour ne pas tomber dans un lyrisme dévastateur. C'est ici, à ce moment précis que les trois coups imposent le vrai lever de rideau d'une pièce qui reste encore à écrire, un spectacle où les personnages s'effaceraient derrière les vrais acteurs, ceux que l'on ne verrait jamais, eux-mêmes dépassés par l'effondrement des décors qu'ils avaient cru tenir à bout de bras.

 

Cette pièce, je la verrais comme une série de fractures, comme l'effondrement des structures, des âmes et des corps, gigantesque cataclysme où les cœurs nobles, cernés par la bêtise des pleutres et la haine des puissants, ne survivront que par l'honneur en révolte, ou la mort désirée. Mais pour le comprendre, il faut revenir au fait fondamental. Que s'est-il passé en France, à cette époque pour que la guerre d'Algérie (osons utiliser le mot le plus adapté) qui était militairement gagnée, ait été politiquement perdue? Si cette question n'est pas posée, aucune discussion saine ne peut tenir.

 

Ce n'est pas seulement la personnalité du jeune lieutenant Favreau qui compte. Aussi généreux, aussi courageux, aussi dévoué, aussi efficace qu'il ait été et chacune de ses pages en fait foi tout cela n'en fait qu'un soldat d'exception, comme tant d'autres dans l'armée française à cette époque. Ce qui compte vraiment c'est son regard sur le 1er REP (Régiment Étranger de Parachutistes) régiment d'élite glorieux s'il en fut, dont il vécut les sursauts de l'agonie. Un regard qui parcout toutes les strates de ce corps organique d'exception.

 

Ce régiment avait été dirigé d'une main de fer par le colonel Jeanpierre jusqu'à sa mort au combat le 29 mai 1958, abattu dans son "Alouette" d'où il surveillait les opérations en cours. Un autre présage, un autre signe, une autre scène...

 

Le lieutenant Favreau sera intégré au REP le 15 septembre 1959. Il y subit le classique accueil délirant par lequel les communautés puissantes intègrent un de leurs nouveaux membres, il apprendra à connaître les légendes vivantes de ce corps, leurs grandeurs et leurs travers, il comprendra que la structure de ce régiment d'élite se lézarde, tenaillé entre les missions officiellement assignées, et les mensonges de la politique en cours, que sa merveilleuse efficacité, soupape d'échappement à cette insupportable pression, pousse parfois ses officiers à d'inquiétants duels. Il y sera blessé de corps et d'âme, agira par et pour son honneur.

 

Je retiens une page comment choisir dans ce remarquable texte où se dévoile "la guerre des capitaines", certains étant capables de lancer un tir de barrage devant une autre section pour la clouer sur place et la devancer pour le bilan du combat.

 

Mais immédiatement après, un moment de grâce que comprendrons seuls les combattants purs :

 

" Imaginez trois compagnies, dont la mienne, au coude à coude, montant les flancs escarpés d'un haut plateau dont les rebords étaient tenus par des rebelles tapis dans les anfractuosités de rochers et nous accueillant par un feu nourri. Les légionnaires progressaient par bonds, s'appuyant mutuellement, insensibles aux sifflements des balles qui ricochaient, tandis que les fusils-mitrailleurs étaient utilisés, l'arme à la hanche, avant de trouver l'emplacement d'où ils pouvaient concentrer leurs feux sur les coins les plus dangereux et tandis que des tirs de mortiers ou d'artillerie coiffaient la crête, relayés ensuite par l'aviation, nos T6.

 

L'émulation était telle qu'aucune compagnie n'était décalée ni ne prenait du retard sur sa voisine. Je me sentais des ailes, porté par un souffle collectif exaltant. Rien ne pouvait nous résister. Un dernier lancer de grenades à main et nous étions en haut. Les derniers rebelles se rendaient ou tentaient de s'enfuir. C'était d'un enchaînement, d'une exécution professionnelle parfaite : enfin, du grand REP ! J'exultais, j'éclatais de fierté."

 

Ce grand REP ayant été dissous, le lieutenant Favreau renchérira dans l'honneur en saluant militairement le général Challe lors de son procès. Le panache opposé à "ceux qui, sur commande, jugeaient, raidis et comme pétrifiés dans leur rôle". Autre scène, autre symbole.

 

Une page de l'histoire de France était déchirée par celui qui était censé en tenir le grand livre.

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commentaires

L
<br /> Bonjour PFG,<br /> <br /> je me suis tenté à un article sur les cafouillages et les retombées de " l'Algérie française " sur notre quotidien actuel. L'article a été censuré. J'aurais bien aimé connaitre votre avis si vous<br /> avez eu le loisir de le lire, sachant que cette période est votre cheval de bataille, source de votre principal moteur en matière de critique littéraire.<br /> <br /> Je me souviens avoir joué à l'approche et avoir été passionné par ce jeu en forêt de Fontainebleau. Je n'imaginais pas à quel point cela ressemble à une formation pré militaire...<br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> <br />
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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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