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24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 14:28

 

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Je ne souhaitais pas trop revenir sur la saga du Médiator, encore que, l’actualité et un certain devoir de faire connaître et surtout de faire réfléchir titillent tout auteur pratiquant le bon sens critique et témoin de certains faits.


J’avais toutefois souligné la parenté entre le tout récent Médiator et son antécédent l’Isoméride : même laboratoire, même famille de produits, mêmes résultats à dix ans de distance.

 

Mais comme le point de vue littéraire ne cesse de me passionner, je recommande tout particulièrement la lecture d’un ouvrage paru en 2008. Il s’agit de Médecin malgré moi, de Patrick de Funès. Si vous attendez un de ces pavés indigestes dont les « grands professeurs » nous bombardent, vous serez déçus. Mais si vous souhaitez déguster une écriture décapante, à l’humour efficace qui plonge en ethnologue dans la tribu médicale, alors, là, vous ne regretterez pas votre investissement, et vous n’aurez pas perdu votre temps. Bien sûr, ce livre fera grincer les dents de bien des déguisés de la blouse blanche. Il séparera même les médecins en deux familles. L’une, majoritaire, regroupera ceux qui se sentiront atteints, ou pire, nieront les évidences cent fois renouvelées. L’autre, minoritaire, regrettera de ne pas avoir de tribune pour témoigner de faits équivalents. Au fait, comme répètent les bons commentateurs médicaux, pour éviter de « se faire des copains », parlez-en à votre médecin. Il y a de grandes chances qu’il déclare ne pas l’avoir lu. Vous en penserez ce que vous voudrez.

 

Mais en attendant, savourez cet extrait (p 81 du dit ouvrage). Plongez en littérature et ouvrez les yeux.



Le rinçage de gosier est à la base de la communication entre laboratoires. Côte de boeuf frites pour le généraliste, carré d’agneau aux légumes d’antan pour le spécialiste. Vers la fin des années 1980, en vue de prouver sa volonté de moralisation, le conseil de l’ordre exigea que lui soit communiquée la liste des médecins participant à ce type de gueuletons, le thème du débat – et probablement le menu de façon que ses membres bénéficient de produits et de vins d’une qualité et d’un prix supérieurs.

La seule et unique séance de recyclage gastronomique à laquelle j’aie assisté fut une soirée ménopause. J’y avais été conviée par une gynécologue frisée comme un astrakan.

« Je n’ai rien à y faire, objectai-je. Je n’ai pas envie de me farcir un exposé sur les mystères hormonaux.

T’inquiète pas, c’est expédié pendant l’apéritif. Mais ensuite, tu vas voir : la bouffe est super. Carole, Martine... toutes les copines seront là. »

Il me fallait bien composer si je voulais que les « copines » m’envoient des mammographies. À l’heure dite, je pénétrai dans une grande chaumière nichée au fond d’un bois. La plupart des tables étaient occupées par des messieurs en complets croisés aux côtés de dames plus jeunes. Mes compagnes, nettement moins fraîches, étaient consignées dans un salon particulier. Elles n’attendaient plus que moi, une flûte de kir pêche à la main. Une fois tout le monde servi, la visiteuse médicale, qui régalait, nous fit asseoir autour d’une table, pour que l’enseignement commence ;

« Connaissez-vous l’Isoméride, notre tout nouveau produit ? demanda-t-elle à l’assistance.

Bien sûr ! s’esclaffèrent les copines.

L’Isoméride, reprit notre hôtesse, est un grand progrès pour les femmes, dans une période douloureuse de leur vie, la ménopause.

Formidable ! » reprirent-elles en choeur.

Miss Laboratoie déplia un truc en carton qu’elle posa au milieu de la table.

« Un Trivial, un Trivial ! hurla ma voisine. Fufu, tu vas faire équipe avec moi. Vas-y, lance le dé ! »

Je m’exécutai en renversant son verre.

« Quel roi enfermait ses ennemis dans des cages ,

Saint Louis », répondit une invitée.

Avec son col claudine et son noeud dans les cheveux, on la voyait davantage poser des ceintures de chasteté que des stérilets.

« Raté. Louis XI. »

Le dé roula de nouveau.

« Une femme de cinquante ans se met à grossir. Que lui prescrivez-vous ?

Isoméride, lança ma voisine de droite.

Bien ! Une dame est constipée, que lui faut-il ?

Isoméride » répéta-t-elle.

Ma voisine était imbattable. C’était à se demander si son serre-tête en velours ne cachait pas une oreillette.

« Quelle actrice joue dans En cas de malheur ? » 

On distinguait presque le bruissement de ses synapses.

« Michèle Morgan.

Non.

Dalida.

C’est Brigitte Bardot, rectifia l’hôtesse en lisant la réponse au dos de la carte. »

Les dés s’emballent, ces dames s’amusaient comme des petites folles.

« Une femme de soixante ans a mal à la tête...

Isoméride.

Gagné. De qui est l’Adagiod’Albinoni ?

Vivaldi.

Perdu. Une ménagère est ballonnée, que doit-elle...

Isoméride ! » 

Leurs piaillements, mêlés de lourds effluves de parfum, commençaient à me donner le tournis ; leurs bijoux de pacotille, s’agitant comme des crécelles, me vrillaient les tympans. Je perdis alors ce que certains appellent le sens commun.

« Si une mayonnaise tourne, que lui ajoute-t-on pour la rattraper ?

Isoméride ! » hurlai-je.

Toutes les têtes brushées se figèrent. Il ne leur manquait que des antennes pour se communiquer silencieusement leur indignation.

« On ne plaisante pas avec la santé. »

Je n’avais plus qu’à prendre congé. Je partis dîner seul au Bar des Théâtres et perdis le quart de ma clientèle. Mais quelques mois plus tard, je pus tirer une certaine fierté de cette mésaventure : l’Isoméride faisait la une de tous les journaux pour avoir tué des centaines de personnes.


Patrick de Funès est bien le fils de son père, un sacré bonhomme, un moraliste qui n'a ni sa langue ni ses yeux dans sa poche. Chapeau, les artistes !

   

 


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  • Pierre-François GHISONI
  • la littérature en partage
L'homme avant les termites
L'idéal sans l'idéologie
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